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Jacques Maritain et la rationalité mathématique

Il est trop vrai que la métaphysique éternelle ne cadre plus avec l'intellignece moderne, ou plus exacatement que celle-ci ne cadre plus avec celle-là. Trois siècles d'empirio-mathématisme l'ont pliée à ne plus s'intéresser qu'à l'invention d'engins à capter les phénomènes - réseaux conceptuels qui procurent à l'esprit une certaine domination pratique et une intellection décevante de la nature, parce que la pensée s'y résout, non pas dans l'être, mais dans le sensible lui-même. Progressant ainsi non par l'adjonction de vérités nouvelles à vérités acquises, mais par substitution d'engins nouveaux à engins périmés ; maniant les choses sans les entendre ; gagnant sur le réel petitement, patiemment, par conquêtes toujours partielles et toujours provisoires ; prenant le goût secret de la matière avec laquelle elle ruse, l'intelligence moderne a développé en soi, dans cet ordre inférieur de la démiurgie scientifique, une sorte de toucher multiple merveilleusement spécialisé, et d'admirables instincts de chasse. Mais en même temps elle s'est misérablement affaiblie et désarmée à l'égard des objets propres de l'intelligence, auxquels elle renonce avec bassesse, et elle est devenue incapable d'apprécier l'univers des évidences rationnelles autrement que comme un système d'engrenages bien huilés.

 

(Jacques Maritain, Distinguer pour unir ou les degrés du savoir - œuvres complètes IV, Editions Universaitaires Fribourg Suisse - Editions Saint Paul Paris, 1983, p. 278)

 

 

Commentaire

 

Je ne peux que souscrire à ce jugement : envahie par les mathématiques, la pensée occidentale n'est plus capable de raisonner que sur ce qui se mesure avec des nombres, c'est à dire sur un apsect de la matière. C'est si vrai que chaque fois qu'on évoque ce problème, il se trouve quelque adepte inconditionnel des mathématiques pour crier qu'on nie leur importance.

Or il ne s'agit pas de nier l'intérêt et l'utilité des mathématiques, mais d'en montrer les limites. Elles ne permettent pas de raisonner sur les émotions, les sentiments, les valeurs, les devoirs, les symboles, et finalement sur tout ce qui tient de près ou de loin à l'esprit - et donc en fait elles ne permettent pas de raisonner sur ce qui fait l'intérêt de la vie !

Le remède me paraît être d'équilibrer, dans l'enseignement, le temps dédié aux mathématiques par un temps suffisant consacré aux Lettres, à tout ce qui a trait à l'analyse des mots et des phrases comme à tout ce qui permet d'exprimer le monde intérieur de chaque personne. A cela il faut ajouter une solide philosophie du nombre, grâce à quoi on saisit que la rationalité mathématique n'est qu'une partie de la rationalité de l'homme. Le salut de l'Occident, et peut-être aussi celui de l'Eglise catholique (ou du moins sa capacité de toucher le grand nombre) est probablement à ce prix.

 

Abbé Bernard Pellabeuf

 

PS Voyez aussi "Le choc des nombres" sur ce même blog.



01/06/2020
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