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Escales dans l'Océan Indien

Ce texte a été rédigé début 2000, comme circulaire de vœux pour mes parents et amis. Il est ensuite paru dans la Revue Prytanéenne.

Il fait suite à Escales au Moyen-Orient

 

Nous sommes passés aux Seychelles et à Madagascar, puis après avoir ravitaillé trois bateaux à la fois (la Jeanne d’Arc, sa " conserve " et une autre frégate) nous sommes retournés dans le Golfe Persique. A Bahreïn, j’ai pris froid (passer, en février, de 10° Sud, avec le soleil à la verticale, à 27° Nord, c’est dur!) et je n’ai pas pu sortir à Koweït sauf pour la messe du dimanche, juste avant de repartir. Et ainsi de suite, nous avons " refait " tous les Etats de la rive Sud du Golfe. Puis nous sommes repartis, vers mai, au Pakistan et en Inde, et enfin à l’île Maurice. De là nous avons erré en direction de l’Est de l’Océan Indien, attendant que le coup d’Etat prévu dans un pays de la zone se produise. Nos météorologues politiques s’étant trompés, nous sommes venus au mouillage aux Maldives après avoir entr’aperçu le brouillard de Ceylan (pardon, du Sri-Lanka). Ensuite, nous sommes rentrés à Djibouti, avec un saut au Yémen.

 

Les îles.

Les Seychelles et Maurice ont eu des destins parallèles : dépendances françaises prises par les Anglais durant les guerres napoléoniennes et non rendues ensuite (comme l’ont été Saint-Louis et Gorée au Sénégal, ainsi que La Réunion, par exemple), elles ont eu à lutter pour leur culture francophone et leur religion catholique. Indépendantes dans les années soixante, elles ont du mal à se débarrasser des séquelles de l’alliance passée alors avec Moscou. On y roule à gauche, mais ce n’est pas dû au communisme.

 

Les Seychelles sont un ensemble plus ou moins cohérent de poussière d’îles dont beaucoup sont inhabitées, dont d’autres se vident de leur population au profit de Mahé, l’île principale, où se trouve la capitale, Victoria. Ce pays qui s’étend sur des distances considérables n’a que 80 000 habitants et, si je me souviens bien, une vingtaine de prêtres, ce qui est insuffisant à cause de la géographie. L’évêque est un jésuite français. Un curé, parlant du bilinguisme, me dit: " On est contents de pouvoir ‘shifter’, choisissant la langue la plus adaptée à chaque sujet", montrant par là qu’il possède toutes les nuances de l’hexagonal actuel. La persécution pro-soviétique, matériellement, a surtout consisté à tenter d’empêcher ... les kermesses paroissiales ! En vain, d’ailleurs, vu le soutien à l’Eglise de la population profondément catholique. Mais là où les dégâts ont été beaucoup plus graves, c’est dans la mentalité des jeunes qui ont été endoctrinés. Peu après notre passage, la roupie seychelloise a été à nouveau convertible, ce qui devrait faciliter le développement: la majorité des gens vit très pauvrement. Les paysages sont beaux, avec des roches volcaniques et des palmiers sur fond de bleu-outremer, et les gens sont accueillants, quoique certains un peu sauvages dans les fonds de vallée. J’ai loué une voiture pour une journée - avec kilométrage illimité, me dit sans rire l’employé : l’île possède une centaine de kilomètres asphaltés!

 

A Maurice, tout a une autre dimension: il y a plus d’un million d’habitants. Le régime anglais a été très anti-français tout au long du XIXème siècle. Le gouverneur projetait de réenvahir La Réunion, puis d’empêcher la France de s’installer à Madagascar... Aujourd’hui il reste la question de Tromelin, un banc de sable français situé entre Madagascar et Maurice, revendiqué par celle-ci au temps de l’alliance soviétique: mais ça n’a d’importance que pour délimiter la zone économique exclusive avec la responsabilité pour les sauvetages en mer...

Mais la méfiance anti-française a servi de prétexte à la politique de protestantisation de l’île. On prétendait accepter les prêtres catholiques, pourvu qu’ils ne soient pas sujets français. On tâcha sans grand succès de faire venir des Belges et des Savoyards. C’est au Saint Père Laval, que Maurice doit d’être restée catholique et francophone. Français arrivé sur place sans autorisation, il a gagné l’estime et l’amitié des Noirs en vivant dans une pauvreté égale à la leur. Comme ils venaient d’être émancipés et refusaient de reprendre un travail, même rémunéré, mais qui leur rappelait les chaînes, ils étaient oisifs et dangereux. Voyant les effets bénéfiques de l’action du Père Laval, on le toléra, lui et ses confrères arrivés en renfort. Il y a chez lui du Saint Curé d’Ars, pour la pauvreté, et du Saint Vincent de Paul, pour l’organisation de l’apostolat et de la charité des laïcs, et pour l’influence bienfaisante sur le pouvoir. Car ayant converti les Noirs, il convertit aussi leurs anciens patrons qui, en général, avaient mené une vie bien peu édifiante. Finalement, le gouverneur anglais lui-même tenait grand compte de ses avis.

Une difficulté de Maurice vient de ce que pour remplacer la main-d’oeuvre noire émancipée, on a fait venir un grand nombre d'Indiens. Ils sont aujourd’hui majoritaires. Or on avait interdit au Père Laval d’exercer son ministère auprès de ces nouveaux venus. Du coup ils sont restés hindouistes et ne se sont pas fondus dans la population. Ils ont eu l’intelligence, à l’Indépendance, de ne pas s’aliéner les Franco-Mauriciens, qui détiennent le pouvoir économique, si bien que le développement n’a pas été cassé comme dans la plupart des pays récemment indépendants. Les capitaux n’ont donc pas été exportés, l’industrie de la canne à sucre a été diversifiée dans le textile et l’hôtellerie. Mais les tensions sont vives entre les 50% d’Indo-Mauriciens et les 30% de Noirs, laissés pour compte. Et cela sur fond de concurrence malgache, due à une main-d’oeuvre moins chère. J’ai acheté une maquette de voilier (le Soleil Royal): c’est aussi l’une des industries de l’île, qui a une légère tendance à se délocaliser. Mais si l’on devait payer ces travaux au prix de la main-d’oeuvre européenne, ce secteur d’activité disparaîtrait à peu près complètement.

 

Madagascar fait pitié. Nous avons fait escale à Diégo-Suarez (pardon, Antsiranana), au Nord de l’île. La côte, très découpée en raison d’un relief volcanique assez jeune, donne des paysages splendides avec des forêts où l’on entrevoit des lémuriens en contre-jour dans les hautes branches (je ne peux pas dire que je n’en ai pas vu, mais je n’ai rien distingué). Seulement, à partir des années soixante-dix on a privilégié là aussi l’alliance avec les communistes de Moscou et cela a été la catastrophe économique. De plus, comme en ex-URSS et ailleurs, le dégel laisse apparaître au grand jour une corruption que l’on connaissait déjà mais sans en soupçonner l’ampleur. Du coup se raniment les vieilles divisions entre les tribus côtières qui avaient accepté l’aide de la France, et les Mérinas des Hauts-plateaux dont le roi, au début du XIXème siècle, ne voulait pas d’autre frontière à son royaume que l’océan. J’ai sans doute mal cherché, mais je n’ai pas trouvé de librairie à Diégo-Suarez, et j’étais perplexe en voyant tous ces enfants qui apprenaient à lire.

Nous avons admiré le travail de Soeur Jeannine Couve, une Ardéchoise, qui depuis trente ans dirige un orphelinat. J’ai aussi aimé l’ardeur des gens du bord à lui venir en aide, spécialement le quartier-maître major qui se rappelait son précédent passage. Chaque escale de notre marine nationale est une aubaine pour cette fondation très pauvre qui fait un bien énorme. Les musulmans sont bien implantés dans cette partie de l’île, dont les chefs, en se convertissant, espéraient recevoir une aide militaire des seigneurs musulmans venus du Nord, toujours contre les prétentions territoriales des gens du centre du pays. Mais l’Eglise catholique est majoritaire sur l’ensemble de Madagascar.

 

Les Maldives sont un archipel de plusieurs centaines de kilomètres le long d’un méridien qui passe par Bombay, sur la côte Ouest de l’Inde. Le mot " atoll " est maldivien: en fait ce pays n’est qu’une succession d’atolls. La superficie en est donc négligeable et le point culminant disparaîtrait si l’océan montait de quelques mètres! Il y a quelques dizaines de milliers d’habitants sur la capitale, une île de moins de trois kilomètres de long; et les autres îles au total en ont moins. Les habitants, islamisés au Moyen-Âge, vivent de la pêche et du tourisme. C’est un paradis pour les amateurs de plongée sous-marine. Les coraux sont morts la plupart il y a deux ans à cause de l’inversion climatique liée au courant " El Niño ". Mais en simple apnée, j’ai vu de très beaux poissons. Au " club Med’ " où j’étais allé prendre un repas en groupe, j’ai vu un serveur dont le prénom est " Laval ": un Mauricien, évidemment. Les rares catholiques n’ont pas de messe.


Encore La presqu’île arabe.

 

Un nouveau séjour dans le Golfe m’a permis de vérifier que la première impression en escale est souvent la bonne, même si elle doit être affinée par la suite. Je n’avais pas remarqué, par exemple, que le clocher de la cathédrale de Koweït, qui est en armature métallique, comporte une croix discrète en poutres parallèles sur chacune de ses faces. A Bahreïn, la croix en pierre est bien visible sur le pignon de l’église aux formes plus classiques. L’Emir de cette île est mort quand nous étions là; le dernier personnage qu’il ait reçu en visite officielle fut notre amiral. Aussitôt les forces de l’ordre ont quadrillé la casbah, fait fermer tous les commerces, etc. Nous avons eu du mal à récupérer les photos données à développer: notre marchand pakistanais a pris des risques - et des bénéfices.

 

Dans un pays voisin, j’ai pu aller voir les ruines d’une église du IVème siècle. Elle a été découverte il y a une quinzaine d’années par des Américains partis faire un pique-nique en plein désert près des oléoducs (quel romantisme!). Au moment de repartir, l’un de leur quatre-quatre était ensablé et en le dégageant ils ont trouvé un mur. L’évêque, qui était présent incognito dans une ville proche, m’a confirmé qu’il y a vu quatre croix sur les murs. Quelques mois plus tard, elles avaient disparu. Mais dés qu’on voit l’édifice, on n’a pas de doute sur sa destination. Officiellement, il n’existe pas. Si l’on insiste, les autorités disent qu’il n’est pas visible, étant dans un périmètre de fouilles archéologiques. Mais le grillage s’enjambe très bien à l’heure de la sieste. Il y a un guide touristique qui en parle comme d’une église nestorienne du IVème siècle, mais le nestorianisme est né au Vème : on peut donc être sûr que la messe a bien été célébrée là en pleine communion avec l’Eglise véritable. Nous avons prié pour les derniers chrétiens morts là sans proches pour le faire. J’ai ramassé, un peu comme des reliques, des morceaux de poteries d’époque, fort reconnaissables à leur verni bleu-vert.

 

Le Yémen a pratiqué un isolationnisme farouche, a été touché par une grave guerre civile qui opposait aussi l’Egypte de Nasser et l’Arabie Saoudite. Récemment, le pays a fusionné avec l’ancienne colonie britannique d’Aden, dit Yémen Sud alors qu’il est au total beaucoup plus au Nord (le Yémen historique, dit du Nord, est en fait le plus à l’Ouest). L’Est a voulu reprendre son indépendance mais l’Ouest a eu le dessus. L’unité nationale n’est pas réalisée, et de nombreuses tribus autonomistes s’en prennent aux touristes. J’ai demandé à notre guide à quelle heure était prévu notre enlèvement, il m’a répondu que ce n’était pas prévu avant de comprendre cet humour occidental déconcertant. Il parle un bon français alors qu’avant le dégel d’il y a quelques années, pratiquement personne dans le pays ne parlait de langue étrangère, sinon probablement pour des raisons militaires et diplomatiques l’anglais et le russe. J’ai beaucoup aimé au cours de cette excursion de visiter en tout-terrain une vallée peu touchée par le monde moderne. Vous avez sûrement vu des photos de ces villes bâties comme sur des nids d’aigles. Un marin s’est approché de la falaise entre deux maisons qui la bordent: les enfants qui nous accompagnaient (espérant rémunération) en étaient tout effrayés. Ils vivent comme dans un monde d’en haut d’où on ne peut pas passer dans le monde d’en bas ni le regarder... Là, je n’ai pas eu de contacts avec l’Eglise, qui a beaucoup de difficultés.


L’empire des Indes.

 

Il reste à parler du sous-continent indien, comme on dit depuis qu’a éclaté l’empire britannique des Indes. On y roule à gauche: les Anglais ont tort de dire que seul le reste du monde s’obstine à rouler à droite. Dés qu’on arrive à Karachi, le grand port du Pakistan, on est dépaysé car ce n’est déjà plus le Moyen-Orient, malgré l’Islam dominant, c’est bien l’Asie. Mais en sortant du bateau j’avais surtout été saisi par une forte odeur chimique, comme quand on entre dans un laboratoire photographique. Les catholiques sont une infime minorité, à qui on mène la vie dure. Beaucoup sont venus des anciens comptoirs Portugais au temps des Anglais ; mais certains ont été convertis par des missions des fils de Saint François. Il y a une ville qui s’appelle Mariamabad - Ville Marie - ce qui ne pose pas de problème, puisque les musulmans savent que Jésus venait de la part de Dieu et est né d’une vierge. Nous avons visité un foyer pour enfants handicapés, tenu par des religieuses: c’est le seul du pays.

Nous avons visité un chantier de démolition de bateaux. On lance à toute force, à marée haute, des gros bateaux trop vieux vers la plage; quand ils s’échouent, on laisse filer les ancres, dont les chaînes sont ensuite tirées par des treuils solidement ancrés dans le sable. Puis on entre dans le bateau par les superstructures et un trou pratiqué à la base de l’étrave, on vide tout puis on démonte la coque. Nous n’avons pas vu d’échouage, mais une demi-douzaine de bateaux à différents stades de destruction sur deux kilomètres, ça vaut le coup d’oeil. Evidemment, la mer et le sable y sont plus sales encore qu’au port. Peut-être en lien avec ce chantier, il y a au Pakistan une industrie d’instruments de marine en cuivre, faits à l’identique des modèles anciens : boussoles, sextants, etc.

En allant à ce chantier, situé au Baloutchistan (donc à l’Ouest de Karachi), nous étions sous escorte militaire. A un arrêt de la colonne, le véhicule avec mitrailleuse qui nous suivait a rejoint celui de tête. J’en ai parlé à un militaire français connaissant la région : y a-t-il si peu de danger que les deux pièces principales de l’escorte se mettent ainsi à portée de tir d’une même arme? D’après lui, il y avait effectivement peu de danger, mais l’escorte avait un rôle dissuasif non inutile dans le contexte chaotique du pays. Cependant, précisait-il, même en guerre ils ont ce comportement, d’où les bilans extrêmement élevés des combats dans la région. C’est vrai que le contexte intérieur est instable; dans le hall d’entrée de la grande poste de Karachi j’ai vu un garde avec un fusil d’assaut. Et j’ai entendu dire - avec une exagération certaine - que certains Pakistanais s’imaginent le fond de la mer, devant Karachi, tapissé de sous-marins indiens à l’affût. Et quelques semaines après, éclatait une nouvelle guerre au Cachemire.

 

Heureusement, cela n’a pas commencé quand nous étions là au milieu, car de Karachi nous sommes allés à Bombay. Ce nom viendrait du portugais et signifierait la bonne baie. Mais aujourd’hui, cela s’appelle Mombay (prononcer môme-baille). Nous étions au mouillage, dans une baie pas si bonne que cela, car elle est ouverte au Sud-Ouest, d’où venaient les vents dominants quand nous nous y trouvions. Cela nous valait d’emprunter des barcasses pour aller à terre et d’y prendre un maximum d’embruns dans la figure. Or l’eau est particulièrement polluée là et ce n’est sûrement pas aussi recommandé que les bains de boue de nos stations thermales. C’est amusant de voir une foule asiatique grouillante dans un centre-ville aux immeubles de style victorien et colonial tout à la fois. L’artisanat local dénote un très grand sens artistique.

J’ai eu peu de contacts avec l’Eglise. Et je le regrette car dans ce pays elle est très éprouvée. Les intégristes hindouistes dont le parti est au pouvoir reprochent aux chrétiens de faire des conversions parmi les parias, les membres de la caste la plus basse. Du coup ils commencent à s’y intéresser. Dans ce pays, les chrétiens ne sont que quelques pour cent de la population, mais cela fait tout de même des dizaines de millions de personnes, puisque l’Inde a un milliard d’habitants. Mais ils tiennent 50% des hôpitaux: pour l’hindouisme aider quelqu’un qui souffre, c’est lui rendre un mauvais service, car ses souffrances ne sont que l’expression de son " karma ". Ce mot désigne dans ce système le destin que chacun s’est forgé dans une vie précédente par son comportement bon ou mauvais. Aider quelqu’un ce serait donc l’empêcher d’expier ses fautes et lui préparer des tourments pour sa vie suivante... Je suis allé (en barcasse par mer agitée...) à l’île Eléphanta, où un vieux temple est dédié au dieu-éléphant. Sur certains autels, on voit des offrandes à ce dieu. L’hindouisme, c’est aussi un polythéisme et cela fait un choc d’en prendre conscience, comme d’un phénomène contemporain.

Pour en savoir plus, engagez-vous dans la marine !



15/04/2020
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