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Escales au Moyen-Orient

Ce texte a été rédigé début 1999, comme circulaire de vœux pour mes parents et amis. Il est ensuite paru dans la Revue Prytanéenne.

 

Que vous dire de Djibouti, notre port base? Cela paraît misérable. Malgré l’aide financière massive de la France, ce pays régresse. La mortalité infantile augmente. L’électricité n’est plus assurée que quelques heures par jour, il faut se réfugier dans des cités équipées d’un groupe électrogène commun. Autrement on doit se relever la nuit pour relancer le sien, sinon on perd tout ce qu’il y a dans le congélateur. En ville, chaque magasin ayant une climatisation a son groupe: il s’y fait un beau tintamarre! 
Le pays est menacé par le conflit entre ses voisins. 150 camions-citernes avec remorque partent chaque jour de Djibouti chargés d’hydrocarbures pour l’Ethiopie, qui n’a plus de port depuis l’indépendance de l’Erythrée. Celle-a évidemment la tentation de couper la voie. Et la Somalie aurait bien du mal à rester neutre car une partie des Djiboutiens ne rêve que d’y être rattachée. Malgré cela on a le sentiment que les conditions du maintien de nos troupes sont très lourdes. Peu de familles y accompagnent encore nos militaires.

 

Nous sommes passés dans les six pays au Sud du Golfe Persique (donc ni en Iran, ni en Irak). Voici d’abord quelques caractéristiques communes à ces pays. Il y a 50 ans, les gens d’ici vivaient pour la plupart comme depuis des siècles, notamment sous la tente, avec leurs troupeaux de chameaux. Soudain est arrivé l’essor économique brutal, dû au pétrole. Et à partir des années 70, le rythme s’est encore accéléré. On efface souvent les traces du passé sous le béton.

Cela donne une curieuse société. Les villes sont ultramodernes, bien adaptées à la circulation, mais tellement impersonnelles! Nous sommes frappés de voir d’énormes voitures. Les souks ont évolué à différents stades en galeries marchandes, dont certaines n’ont rien à envier aux nôtres. Mais aussi quelle pauvreté pour les travailleurs immigrés! On préfère les Asiatiques (Pakistanais, Indiens, Philippins) qui ne peuvent pas invoquer la solidarité arabe pour obtenir des avantages sociaux; mais il y a un certain nombre de gens du Moyen-Orient: surtout Palestiniens, mais aussi Libanais, Syriens, Egyptiens...

Or la tendance s’inverse. Les Etats avaient prévu leurs budgets avec un baril de pétrole à 16 $ en moyenne, mais il est tombé à 12 $ depuis des mois. Aussi les pays remboursent mal leurs emprunts, renvoient des étrangers, etc. Les ports travaillent très en dessous de leurs capacités. L’Arabie Saoudite doit 3,5 milliards de francs à notre pays. Après la crise financière d’Asie, cela aura des conséquences sur l’économie occidentale, qui exportera moins vers ces pays, mais peut-être un peu plus vers les pays importateurs de pétrole ou de produits manufacturés.

 

Un autre phénomène dominant est l’Islam. Nulle part on ne voit de croix sur les églises, qui sont banalisées à l’extrême, quand elles existent. On regroupe sur un même terrain catholiques, orthodoxes et protestants. Le clergé est le plus souvent indien (Carmes notamment), mais on trouve aussi des Libanais (à qui on confie le soin des communautés francophones), des Italiens (Capucins) et exceptionnellement des Carmes américains. Il n’est pas conseillé de montrer une croix sur soi; si je le faisais, un incident gênerait et la marine et l’Eglise locale. Ne supportant pas le col fermé dans ces pays chauds et humides, je ne peux porter le col romain et je ressens la sagesse de l’Eglise qui dit aux prêtres de porter un habit ecclésiastique.

 

Le plus radical de ces pays est l’Arabie Saoudite. Il y a là une police religieuse chargée entre autres de faire fermer les magasins à l’heure de la prière. L’alcool est officiellement interdit. Les femmes ne peuvent pas conduire. Mais, peut-être parce que la baisse des ressources empêche certains de payer des chauffeurs, on parlerait d’autoriser les femmes de plus de 37 ans à conduire. J’espère qu’on les autorisera à entrouvrir suffisamment leurs voiles! Tout culte autre que musulman est strictement interdit. Or, sur 18 millions d’habitants, il y en a 9 d’étrangers, dont 450 000 Philippins, ce qui permet d’évaluer les catholiques à un demi-million.

Mais le système est fissuré. On fait venir dans certaines ambassades des ingénieurs météorologues - qui parlent de l’état du ciel - vers Pâques et Noël. Et puis il y a les " compounds ", sortes de concessions louées par des Arabes à une entreprise pour qu’elle y loge ses employés. La liberté dans un compound est fonction de la puissance de la société. Là seulement on peut voir des piscines. Et certaines entreprises font venir des gens qui s’occupent de météorologie dans les coumpounds, en plus de leur emploi normal.

 

Le Koweït vient ensuite, assez décevant. Il ne vit que des ressources pétrolières et du trafic d’alcool. On y trouve du sable et du béton, mais les gens ont l’air plus fiers du second. Les Koweïtis sont réputés pour placer tout leur argent à l’étranger. L’histoire semble commencer au moment de l’attaque irakienne de 1990. (Les Palestiniens auraient davantage pillé que les envahisseurs). On ne parle pas de la dynastie de l’émir, qui remonte au XVIIIème siècle. Cela ruine pourtant l’argument de Saddam Hussein, disant que cet Etat est une création anglaise d’après 1945.

Mais le Koweït est assez libéral pour les chrétiens. Le pays a son évêque. La cathédrale ressemble à ce qu’elle est, même sans croix. La cloche a été offerte par l’émir, mais on n’a pas le droit d’en sonner. L’évêque en a tout de même pris l’initiative le jour de la libération de la ville par les Alliés en 1991, où les gens en liesse se massaient sur l’esplanade.

 

Le Qatar est un petit pays niché dans une presqu’île touchant l’Arabie vers le milieu du Golfe. On ne peut pas y construire d’Eglise; mais un prêtre exerce son ministère assez librement dans des salles privées à Doha. A côté, il y a la petite île constituant l’état de Bahreïn. Une église a pignon sur une rue du centre-ville de Manama. J’ai rencontré un excellent confrère de la marine américaine, qui y est très présente.

 

L’Etat le plus important de la région après l’Arabie est une confédération: les Emirats Arabes Unis. Quand les Anglais y ont établi un protectorat au XVIIIème siècle, on l’appelait la Côte des Pirates. Des roitelets régnaient dans sept ports, s’y faisant détrôner régulièrement. La stabilité politique est venue grâce au protectorat: les dynasties de l’époque sont toujours en place. Chaque émir est souverain en matière intérieure, d’où une politique religieuse plus dure là où il y a moins de pétrole et davantage besoin de l’aide saoudienne.

La capitale politique est Abu Dhabi, où réside l’évêque responsable de tous les pays Arabes à l’exception du Koweït; la grande place économique est Dubaï, où l’on trouve aussi une belle paroisse. Quand l’église a été construite il y a une dizaine d’années, sans croix apparente, un inspecteur aurait voulu faire déposer les cloches. Heureusement, elle avaient été offertes par l’émir; on peut en sonner deux fois l’an, à minuit pour Noël et Pâques.

Nous aimons bien ce pays, très ouvert pour la région. D’ailleurs il a un passé maritime impressionnant et aujourd’hui encore des boutres vont caboter jusqu’en Inde et, dit-on, en Afrique du Sud. C’est probablement là que les Asiatiques sont le mieux traités. Il faut dire qu’à Dubaï la société est tout à fait cosmopolite : j’ai l’impression qu’un tiers seulement des habitants est originaire du pays. Du coup la presse locale parle en anglais du monde entier, et l’on mesure mieux l’effarant vide des quotidiens français. On a eu ces derniers jours beaucoup d’informations sans aucun parti-pris sur les persécutions des Chrétiens en Inde et en Indonésie. En Inde, ils ne sont que trois pour cent, ce qui fait tout de même près de trente millions! On leur reproche de convertir les parias, qui sont très mal considérés dans le système des castes.

 

Nous nous plaisons beaucoup aussi dans le sultanat d’Oman. C’est le plus chargé d’histoire. Il doit son nom à un chef venu du Yémen au IIème siècle. La région du Dhoffar, au Sud, est réputée depuis trois ou quatre millénaires pour son encens. Aux XVIème et XVIIème siècle les Portugais s’y étaient installés. Ils y ont construit d’admirables forts sur des rochers à pic dominant les ports, on en voit aussi à l’intérieur du pays, où le style en a été adopté.

Après avoir chassé les Portugais (implantés jusque dans les actuels E.A.U. où leurs descendants, dans un village, n’ont jamais voilé leurs femmes), le sultan de Mascate a pris toutes leurs positions sur la côte africaine, jusqu’à l’île de Zanzibar, aujourd’hui en Tanzanie, qu’ils tenaient encore au XIXème siècle. Les Zanzibarites ont commercé en swahili dans toute l’Afrique orientale; certains sont revenus tout récemment du Rwanda en Oman. Un Français sur place m’a dit que sa secrétaire omanaise parlait à la perfection le swahili, le français et l’anglais, mais refusait d’apprendre l’arabe !

Les Omanais sont attachants, et leur sultan leur fait comprendre que le pétrole est en voie d’épuisement, que le gaz ne durera pas longtemps. La gratuité des soins et des études ne durera pas forcément. Il investit dans la formation des jeunes pour remplacer les cadres étrangers. Il " omanise " les emplois subalternes: certains chauffeurs de taxis ne comprennent pas un mot d’anglais: les Pakistanais s’y entendent beaucoup mieux dans les autres pays.

Les constructions respectent de plus en plus le style local. Les résultats sont parfois surprenants, comme ces cabines téléphoniques ou ces Abribus en forme de tours crénelées... Mais la banque centrale est d’une très grande beauté. Les mosquées, même toutes récentes, sont belles, et l’on regrette qu’on ait souvent confié la construction des églises à des architectes voulant innover à tout prix, sans guère de sens du sacré.

 

Nous sommes allés ensuite en Mer Rouge: j’ai revu avec plaisir Pétra en Jordanie, avec ses monuments colossaux taillés dans la roche rouge. J’ai remarqué à Aqaba un nombre surprenant de boutiques d’alcool. Ce serait étrange dans un pays musulman à plus de 90%. La proximité de la frontière saoudienne fournit une explication.

 

Une escale à Port Safaga, sur la Mer Rouge près d’Hurgada, m’a permis de découvrir la Haute Egypte: Louxor trop rapidement, Assouan et même Abu Simbel et ses temples sauvés des eaux du lac Nasser. Je suis confirmé dans mon impression gardée d’un passage à Alexandrie et Le Caire: la religion égyptienne est fondée sur la crainte des forces de la nature, éléments ou animaux; on les divinise pour essayer de se les concilier. La divinisation du pharaon tient à ce qu’il est chargé justement de contrebalancer cette atmosphère de ténèbres, mais on exalte trop sa force guerrière, on a parfois l’impression d’être en présence de sacrifices humains. J’ai été ému de penser que les légions romaines avaient combattu à plus de 1000 km d’Alexandrie!

L’architecture égyptienne est bien digne de la nation qui a inventé la géométrie: il y manque l’esprit de finesse. Elle est imposante, impressionnante même, et l’on comprend bien que toute cette grandeur ait tant fasciné au cours des âges. Mais c’est trop cubique. Les peintures d’origine ne modifient pas mon jugement: ce qu’on en voit encore est beau. Mais J’ai essayé d’imaginer Saint Pierre de Rome sans couleur: il restait la lumière, les formes, les reliefs, les voûtes, les plafonds à caissons etc.

 

Pour l’escale à Eïlat, en Israël, j’ai fait un pèlerinage à Jérusalem, je suis allé voir les mines de cuivre de Timna, exploitées par les Egyptiens avant Salomon. A Massada, où les Juifs ont résisté très longtemps aux Romains, j’ai compris certains éléments de la pensée juive, pour qui devant Dieu, " un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour ". Quand ils célèbrent la Pâques, ils revivent la sortie d’Egypte avec Moïse. Quand ils se sont soulevés à Varsovie, ils revivaient ce que leurs ancêtres avaient fait à Massada : plutôt mourir que vivre esclaves.

 

De retour à Dubaï pour une période d’entretien, nous avons eu une belle messe de Noël, avec deux cent cinquante personnes, dont quelques dizaines du bord. Il y a eu cent soixante-quinze communions. La quête, faite par des matelots dans leurs bachis, a rapporté 6 300 FF, que nous avons remis à un orphelinat lors de notre passage à Madagascar. Les gens de l’extérieur comme du bord ont été très contents de cette messe. L’inconvénient, c’est qu’on a vidé à la paroisse la messe prévue par le confrère libanais qui l’assure habituellement en français. Heureusement nous sommes en bons termes...

 

La suite : Escales dans l'Océan Indien



15/04/2020
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