Pageliasse

Pageliasse

Une communauté de prêtres enseignants (ancien projet)

J'avais un projet, tout le monde en privé me le disait bon. Mais quand j'ai eu besoin de soutien public, il ne se manifesta pas.
Alors pourquoi le publier ici ? Pour qu'un jour, peut-être, d'autres reprennent le flambeau de la Communauté Saint Athanase.

 

1. Au commencement…

 

11. L’idée de ce petit texte est venue de la façon suivante. Au début de l’année scolaire 2008-9, un garçon de seize ans en classe de troisième venait me voir régulièrement pour me poser des questions sur toutes sortes de sujets. Sa curiosité intellectuelle m’amena à lui demander un jour :
- Aimerais-tu être professeur ?
- Oui ! Fit-il, sur un ton qui me montra que j’avais sans doute mis là à jour un charisme chez lui.
A quelque temps de là, je remarquai un élève de quatorze ans en classe de septième qui travaillait bien, semblait ouvert à tout et d’un équilibre remarquable. Je lui posai un jour la même question. J’eus la même réponse, sur le même ton.

 

12. Je remarquai aussi un grand séminariste en stage canonique au petit séminaire, où il donne des cours d’histoire et géographie, de français et de musique. Dans nos discussions, je compris pourquoi il avait été choisi pour un tel poste. Je lui posai la même question qu’aux deux jeunes, et sur sa réponse affirmative, je lui parlai de ceux-ci, et lui dit que s’ils fondaient une association sacerdotale, je les soutiendrais. Il me parut intéressé.

 

13. J’allais voir Mgr N’Koué, qui approuva l’idée, en la précisant de deux manières. D’abord, ces prêtres enseignants devraient être d’abord des éducateurs. Ensuite, ils ne devraient pas constituer un haut clergé, distant d’un bas clergé. Nous étions d’accord aussi sur deux autres points : les patronages de Saint Jean Bosco pour l’éducation, celui de Saint Benoît pour l’organisation de la vie commune.


2. Souvenirs

 

21. Qu’on me permette ici quelques souvenirs personnels. Juste après m’avoir ordonné, Monseigneur Lallier, archevêque de Besançon, dit à un ami de mes parents : « Bernard est un professeur, or j’ai besoin de curés de campagne. »
Quelques temps auparavant, il avait réuni les cinq diacres qu’il allait ordonner prêtres cette année 1978. Il nous expliqua qu’étant donné le manque de prêtres, il ne pourrait pas nous donner des affectations répondant à nos souhaits. Je lui demandais si, justement à cause du fait que l’on ne pouvait plus assurer le « maillage » territorial, on ne pourrait pas imaginer d’utiliser les prêtres au mieux de leurs compétences. Il me répondit qu’il n’avait pas encore envisagé les choses de cette façon.

 

22. Il ne les envisagea pas ainsi pour moi et les circonstances firent que je ne pus pas enseigner en France. Mais en 1983 j’appris par le bulletin diocésain (commun aux diocèses de Besançon et Belfort, auquel j’étais incardiné depuis sa création en 1980) que l’archevêque de Bukavu avait demandé à celui de Besançon un prêtre pour enseigner dans un séminaire. C’est ainsi que je devins professeur de français et de latin dans les grandes classes au petit séminaire de Mugeri jusqu’en 1989. Et me trouvant libre après quinze années au diocèse aux armées françaises, j’appris en 2007 que l’évêque de Natitingou cherchait un professeur de latin pour son séminaire et qu’il y attachait de l’importance : avec l’accord de mon évêque, je partis à nouveau, pour trois ans, comme fidei donum à la rentrée 2008.

 

3. Utilité actuelle

 

31. Je suis persuadé que l’Eglise, qui a toujours eu une volonté d’évangéliser la culture, doit le faire aujourd’hui avec une urgence particulière. Benoît XVI, d’ailleurs, y insiste souvent.

 

32. En Occident, dont il faut bien parler ici car il impose ses modèles partout, la décadence, pour être essentiellement spirituelle avant d’être morale, a une composante intellectuelle et culturelle qui bloque la pensée et l’empêche de se tourner vers les bonnes solutions. Une révolution culturelle a eu lieu, initiée par des marxistes voulant libérer l’homme de « structures aliénantes » mais approuvée par des libéraux voulant dominer l’humanité à leur seul profit.

 

33. En Afrique, la rencontre des différentes faces de l’apport occidental avec les cultures traditionnelles déboussole les esprits, surtout des jeunes, et les livre sans défense aux dépravés intellectuels et moraux. Or si là encore les enjeux principaux sont spirituels et moraux, la partie se joue aussi au plan culturel. Il importe de ne pas perdre des éléments des cultures proprement africaines qui peuvent apporter beaucoup à l’Eglise : ils peuvent le faire comme par exemple les traditions chrétiennes arabes peuvent renouveler l’approche occidentale de la théologie ou comme les apports germaniques ont permis à l’Eglise au Moyen-âge de renouveler la pensée des Pères.

 

34. De plus, il est clair que cette nécessité pour l’Afrique dépasse le cadre africain à l’heure où, par exemple, mille prêtres africains exercent un ministère en France. Ce fait nous rappelle une autre époque de l’histoire de l’Eglise. Quand, durant le Haut-Moyen-âge, les invasions barbares eurent à peu près ruiné les diocèses du continent, ce sont les moines missionnaires irlandais comme Saint Colomban qui ont grandement contribué à leur renaissance.

 

35. C’est pourquoi on peut penser qu’une tentative de regrouper en une société des prêtres ayant le charisme de l’enseignement pourra, si elle est convenablement présentée et menée, obtenir les soutiens

nécessaires. Les lignes qui suivent sont celles d’un prêtre trop vieux pour participer directement à l’aventure et qui par conséquent s’en remet entièrement aux fondateurs de la société sacerdotale qu’il appelle de ses vœux, et à l’autorité ecclésiale, pour la suite qu’il conviendra d’y donner.


4. Charisme et vocation

 

41. Il doit être clair pour des prêtres enseignants que la vocation est le sacerdoce, et que l’enseignement n’est qu’un charisme. Ils ne seront donc prêtres que pour ceci : rendre présente la prière de Jésus en son sacrifice. Toute autre activité sacerdotale doit être au service de la messe, source et sommet de toute vie chrétienne et de tout apostolat. En particulier ils fuiront tout esprit de carrière et considéreront comme une grâce d’être envoyés aux plus pauvres ; ils n’excluront pas de leurs rangs ceux qui souhaiteraient enseigner dans le primaire.

 

42. Ils refuseront tout élitisme, qui ne viserait dans l’apostolat l’élite que pour elle-même. Il existe suffisamment d’instituts qui se chargent de l’apostolat auprès de l’élite intellectuelle ou sociale, espérant par elle gagner le reste de la population. Mais cet apostolat n’engendre pas directement une élite chrétienne, c’est à dire soumettant entièrement son mode de vie et de pensée à la Révélation. Aussi il faut se souvenir qu’une véritable élite chrétienne est normalement secrétée par une population chrétienne bien formée spirituellement et culturellement.

 

43. Les prêtres enseignants seront donc avant tout des éducateurs. Ils se souviendront que les premiers éducateurs sont les parents et que le rôle d’éducateurs qu’ont les enseignants ne leur vient que d’une délégation des parents, même si l’Eglise les désigne pour recevoir cette délégation en ratifiant leur charisme. Ils se souviendront que ce n’est pas l’Etat qui est chargé par Dieu de l’éducation, mais bien les familles ; ils soutiendront les efforts de l’Etat pour offrir à tous une instruction appropriée.
Ils seront donc parents des enfants à eux confiés à côté des parents véritables : non pas en concurrence avec eux mais en se tenant toujours dans la pensée que c’est Dieu en définitive qui est la source et le but de toute éducation. Ainsi, de même que les parents chrétiens se réjouissent que leurs enfants grandissent en sagesse et en âge, de même ils n’auront pas de volonté dominatrice par rapport à ceux qu’ils éduquent : bien plutôt ils seront conscients que, conformément à l’étymologie du mot ‘éduquer’, ils doivent s’efforcer d’aider le jeune à mettre en lumière tout ce que par grâce Dieu a déposé en eux et se réjouiront d’en voir les progrès.

 

44. A cet égard, Saint Jean Bosco sera pour eux un maître privilégié ; ils se souviendront d’autre part que Saint François de Sales fut choisi par Saint Jean Bosco comme patron de son œuvre à cause de sa grande douceur. Les châtiments où l’on frappe les coupables leur feront horreur ; les mains des prêtres marquées par le saint chrême pour bénir ne peuvent frapper : et comment un jeune pourrait-il communier sans arrière-pensée de la main qui l’a frappé ? Ils éduqueront la volonté sans la briser.
Toutefois en raison du péché notre volonté est infirme et il faut par conséquent la soutenir même par la coercition. On s’ingéniera donc à trouver des services même pénibles mais utiles à la communauté qui permettront aux coupables à la fois de comprendre leur faute et de reprendre leur place dans la communauté.

 

45. Afin de rester conscients que leur tâche d’enseignants est au service de la tâche évangélisatrice de l’Eglise tout entière, ils accueilleront volontiers parmi eux des confrères dont le charisme ne serait pas entièrement épuisé par l’enseignement et qui pourront prendre aussi des responsabilités dans les paroisses. En particulier, si on venait à leur confier une part de la formation des futurs prêtres, ils ne désigneront pas pour ce ministère des prêtres qui n’auraient pas une expérience pastorale suffisamment variée.

 

46. Ils auront à cœur de suivre dans leur formation Saint Thomas d’Aquin comme maître, comme les invite le droit canon. De la même source ils puiseront une haute estime pour le port de l’habit ecclésiastique, s’efforçant de le porter en toute circonstance qui le permet et en trouvant par conséquent des formes à cet habit qui à la fois permette de les identifier à coup sûr comme prêtres et à la fois d’être à l’aise pour leur mission.

 


5. Orientations spirituelles

 

51. Sachant que la paroisse est le lieu normal de la vie chrétienne, sauf pour quelques-uns comme les contemplatifs ou ceux que leur genre de vie conduit plutôt vers des aumôneries, ils développeront en eux-mêmes et chez ceux dont ils auront la charge une spiritualité en rapport avec la liturgie.
Celle-ci aura chez eux une place de choix ; ils tiendront l’équilibre entre la tendance monastique de la liturgie qui doit effectivement rayonner dans toute l’Eglise, comme elle l’a fait dans le passé, et la tendance plus directement orientée à l’adaptation au milieu ambiant, comme les pasteurs sont naturellement portés à le faire. La mesure de cet équilibre sera fournie par l’autorité compétente en matière de liturgie qui a toujours été en définitive le Souverain Pontife.
Ils seront délibérément de rite romain, conscients que celui-ci, héritier de civilisations diverses, est capable d’assumer encore d’autres cultures. Ils aimeront notamment dans la liturgie romaine sa grande sobriété, qui leur évitera d’adopter des usages, comportements ou « gestuelles », qui donnent l’impression qu’un groupe ou une personne s’approprie la liturgie.
Avec le second concile du Vatican, ils considéreront que le chant grégorien est le chant de référence des rites latins, que les fidèles doivent savoir chanter en latin les parties de la messe qui leur reviennent, et qu’il est bon que les prêtres disent l’office en latin.

 

52. Ils auront une grande dévotion envers la Sainte Mère de Dieu ; et le sentiment de sa maternité à leur égard les guérira des infirmités qu’ils ont pu contracter du fait des inévitables limites de l’éducation qu’ils auront reçue. Ils s’efforceront d’exercer leur autorité d’éducateurs dans le rayonnement de cette présence maternelle de la Vierge Marie dans leurs communautés. Ils se mettront pour cela à l’école de Saint Louis Marie Grignon de Montfort dont l’enseignement a pris une valeur universelle sous le pontificat de Jean-Paul II.

 

53. Ils n’imposeront aux membres de leur association aucune spiritualité particulière, tout en les encourageant à en choisir une et à l’approfondir. Ils iront néanmoins volontiers aux plus essentielles, les plus christocentriques, et s’efforceront d’être capables d’orienter leurs disciples dans la spiritualité qui leur convient le mieux.


6. Orientations culturelles

 

61. La Révélation dans son intégralité et sa pureté sera le critère absolu de leur jugement sur les civilisations. Il semble que beaucoup de maux proviennent aujourd’hui de ce que certains aient cessé de juger leur culture à la lumière de la Révélation pour critiquer celle-ci à la lumière de celle-là. Les études bibliques retiendront particulièrement leur attention, non comme un tout autosuffisant mais comme l’expression de l’expérience de la communauté des croyants réunis à l’initiative de Dieu, communauté qui continue à vivre de son intimité avec Dieu et à dire ce qui entretient le mieux cette intimité.
Ils ne chercheront pas à développer une théologie proprement africaine, car la théologie est une activité de toute l’Eglise. Ils soutiendront en revanche les efforts en vue de l’émergence d’une école africaine de théologie et de spiritualité comme une réponse spécifique aux interrogations des Africains pouvant être utile à toute l’Eglise. Ils seront persuadés qu’une telle école se développera avant tout grâce aux nécessités de la prédication, et spécialement de la prédication populaire.

 

62. Ils rechercheront le classicisme, non comme une fin en soi, mais en considérant une époque classique comme ce moment particulier de l’histoire d’une civilisation où tous les apports initiaux ont trouvé harmonieusement leur juste place. Le classicisme est donc une école d’équilibre des forces culturelles et de maîtrise de l’expression des sentiments par la raison ordonnée à la connaissance de Dieu. Les différents classicismes de l’histoire seront pour eux autant de repères en vue d’élaborer une nouvelle civilisation chrétienne.

 

63. Ils fuiront l’esthétisme comme recherche du beau pour lui-même, qui ne mène qu’à la décadence artistique. Ils favoriseront au contraire un sens esthétique respectueux de la création et de son harmonie. Ils ne rechercheront pas la nouveauté à tout prix, se souvenant que les chefs-d’œuvre sont le fruit de longues maturations de modèles antérieurs. La musique en particulier sera un élément constitutif de la formation qu’ils dispenseront ; ils s’efforceront de mettre le solfège à la portée de tous en imaginant des méthodes pour l’enseigner sans instrument, mais à partir du chant.

 

64. Ils développeront une pédagogie particulière pour les mathématiques qui les mettra à leur place dans l’ordre des connaissances : non comme la mesure ultime de tout, mais comme limitée à ce qui se mesure, c’est à dire à la matière. Une bonne présentation de l’âme et de la réalité spirituelle mettra leurs disciples à l’abri de tout matérialisme, comme de tout rationalisme qui limiterait à la matière le domaine de la rationalité.

 

65. Enfin ils auront à cœur de former leurs disciples à la doctrine sociale de l’Eglise, en montrant notamment en quoi cette doctrine est appliquée dans les communautés dont ils ont la charge, et comment sa généralisation, en évangélisant la société, rend à celle-ci le meilleur service qu’on puisse lui rendre.


7. Orientations communautaires

 

71. Ils se souviendront que le véritable fondateur de leur association est le Christ lui-même, afin que celle-ci ne résulte pas de calculs humains, mais soit entièrement sous la motion de l’Esprit de Jésus. Ils trouveront dans cette considération la force de surmonter les inévitables difficultés provenant des différences de mentalités, d’options, de cultures, ou autres.

 

72. Saint Benoît et sa règle seront à cet égard leur maître et leur charte. Ils en aimeront à la fois le sens pratique et le génie de la synthèse culturelle à la lumière de la révélation. Pour cela, par exemple, ils remarqueront que le Père des moines d’Occident veut qu’on présente plus d’un met à chaque repas pour que si un moine ne pouvait pas manger de l’un il puisse prendre de l’autre. Pour ceci, ils étudieront le rôle du Père Abbé au sein de sa communauté : son pouvoir est absolu, mais il doit écouter tous les Frères avant de décider, il peut même à l’occasion entendre le novice. En effet, dans une perspective chrétienne, l’Esprit-Saint décide par celui qu’il a désigné, mais parle par qui il veut. Le supérieur, qui n’a pas la sécurité que donne le fait d’être éclairé lui-même par un autre, est le seul juge de l’application de la règle, dont l’observation s’impose par conséquent à lui de façon plus pressante. Il doit tenir compte des avis de ses Frères non seulement pour ce qu’ils lui révèlent de juste, mais aussi pour ce qu’ils montrent de faiblesse, afin qu’il n’exige rien de sa communauté qu’elle ne soit prête à donner.
Que Dieu décide par qui il a désigné fait que celui qui obéit accomplit la volonté de Dieu. Mais cela n’empêche pas que certaines décisions puissent être peccamineuses, si elles n’ont pas été prises en suivant une conscience bien éclairée et avec le courage nécessaire. Le supérieur se considérera lui-même avec humilité comme un serviteur et méritera ainsi d’être considéré par ses Frères comme le Christ, maître et seigneur, venu non pour être servi mais pour servir.

 

73. A côté de l’héritage bénédictin, la tradition canoniale sera un guide pour la vie communautaire et l’apostolat des prêtres enseignants. Toutefois la forme la plus adaptée à ce projet paraît être celle que fournit aujourd’hui le droit canon dans la formule des sociétés de vie apostolique.
En ce sens la communauté Saint Martin semble pouvoir servir de modèle en un bon nombre de choses, comme par exemple la règle qui veut qu’on remette à la communauté la moitié des sommes reçues au titre du ministère. Ou encore le fait de vivre en communautés de quatre ou plus ; et de dire autant que possible l’office en commun. Le présent texte est redevable à bien des égards des idées de Monseigneur Guérin, le fondateur de cette communauté Saint Martin.

 

En l’année Saint Paul,

Au monastère de Péporiyakou le dimanche 17 mai 2009.



05/10/2020
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Religion & Croyances pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 53 autres membres