Ô ma joie, Jérusalem - Escale du La Fayette à Haïfa
Article paru dans le revue " Cols Bleus " du 15 février 1997.
Chacun réagissait à sa manière, personne n’était indifférent : on allait faire escale en Israël. Plusieurs ont entendu l’antique demande : " Priez pour nous à Jérusalem ! " Il n’y avait plus qu’à s’habiller le cœur, comme le Petit Prince de Saint-Exupéry, pour se préparer à la rencontre. Et la grosse mer qui nous portait n’y était guère favorable.
Il fallut un peu patienter. Arrivés devant Haïfa le mercredi 11 décembre 1996 au matin, nous avons embarqué une vingtaine d’officiers israéliens intéressés par notre frégate furtive et notre hélicoptère Panther. Les démonstrations se succèdent et c’est dans la bonne humeur que nous avons fraternisé autour d’un buffet au carré. Tant de souvenirs des guerres récentes de la région, tant d’interrogations sur ce jeune pays et son armée nous ont fait paraître rapide cette rencontre. L’accueil chaleureux de la marine israélienne confirma ensuite que le contact était bien établi.
Nous sommes à quai en fin d’après-midi, permissionnaires à dix-huit heures. Il faudra attendre le lever du soleil pour découvrir la Terre Sainte, entrevue dans la brume et le contre-jour le matin, sous la bruine le soir. La nuit tombée, on découvre un marchand de souvenirs. Il vend des pierres du monde entier. Pour des pierres bleues de la région d’Eïlat, il est tout heureux qu’on lui fournisse un argument de vente : " Oui, elles viennent des mines de cuivre du roi Salomon ! " Il semble penser avoir rencontré un érudit. Un proverbe dit : " Jérusalem prie, Haïfa travaille, Tel-Aviv s’amuse. " Beaucoup, ce soir-là, on trahi la réputation de Haïfa, certains en priant.
Le lendemain, quatre-vingts personnes et plus prennent place dans les deux cars qui nous mènent à Jérusalem : les autres sont retenus par le service ou diverses obligations. Nous longeons la côte galiléenne, évitons Tel-Aviv, l’autoroute escalade les pentes raides des montagnes de Judée. Notre guide, Salomon, qui est né au Maroc et parle un bon français, nous explique l’institution des kibboutz, réalisation typique de la mentalité israélienne. A l’origine, des colons se sont groupés pour leur autodéfense. Puis ils ont mis leurs bien en commun, plus qu’en coopérative, en des sortes de monastères laïcs pour les familles. Le point faible : peu de contacts entre les parents et leurs enfants. Mais une excellente instruction : deux et demi pour cent de kibboutzniks dans la population fournissent la moitié des pilotes de l’armée de l’air.
Après un peu plus de deux heures de route, nous arrivons vers neuf heures trente à Jérusalem, porte de Jaffa. Nous y trouvons Sœur Charles-Thérèse. Nous commençons par le Mont des Oliviers, avec sa superbe vue sur les remparts et l’esplanade du Temple occupée par les fameuses mosquées d’Omar et d’El-Aqsa. Les commentaires de Salomon et ceux de la Sœur se complètent. Puis nous nous hâtons vers la basilique du Saint-Sépulcre, où l’aumônier pourra dire la messe à onze heures. A l’entrée, Salomon passe avec élégance le relais à la Sœur : " Vous êtes ici chez vous. "
Pendant qu’après une rapide visite Salomon entraîne à l’écart une partie du groupe, quelque vingt-cinq marins entrent dans la chapelle du Saint-Sacrement où une tradition situe l’apparition de Jésus à Marie sa Mère, juste après sa résurrection. En ce temps de préparation à Noël, la liturgie de Pâques surprend un peu. Mais on est dans l’ambiance : à quelques pas d’ici Jésus est mort, a été enterré, est ressuscité. On apprend à voir les faits plutôt que les images. Les tableaux montrant Jésus vainqueur devant les gardes du tombeau expriment bien la victoire du Christ, mais pas la réalité : quand la pierre fermant le sépulcre est roulée, les soldats ont eu la stupeur de constater qu’il était vide. Avant la mort, l’âme reste soumise aux lois physiques. Après la résurrection, le corps est régi par les lois spirituelles.
Vers midi le groupe se trouve de nouveau au complet. Salomon nous guide à travers la vieille ville. On ne peut éviter d’évoquer les combats de 1948, 1956 et 1967 qui s’y sont déroulés. " Nous autorisons tout le monde à venir en pèlerinage, et j’en suis fier. " Tant de civilisations se sont succédé là ! Des puits dans la rue du Cardo permettent d’entrevoir les couches archéologiques jusqu’à près de dix mètres de profondeur.
Nous retrouvons le bus qui nous emmène au restaurant sur le mont dit " du Mauvais Conseil ". C’est là que Caïfe aurait dit à l’assemblée des notables, en parlant de Jésus : " Il vaut mieux qu’un homme meure pour tout le peuple. " Ce mont héberge aujourd’hui l’ONU. De là, on voit la vieille ville, enserrée dans les quartiers construits depuis un siècle et demi. La municipalité oblige à tout bâtir avec revêtement de pierre de taille ; La ville est blanche, au point de manquer de verdure.
Le ciel, d’un bleu parfait jusque là, se voile, ce qui va accentuer le contraste entre Jérusalem l’opulente et l’humble Bethléem. Jésus y est né, dix siècles après son ancêtre David. Celui-ci unifia les Hébreux en prenant Jérusalem pour en faire sa capitale, entre les deux groupes de tribus. Aujourd’hui, cette terre est divisée : on passe alternativement sous le contrôle de l’autorité israélienne et palestinienne. De nombreuses voitures de l’autre côté du poste : les travailleurs frontaliers doivent les laisser là pour se rendre à leur travail, par crainte des voitures piégées.
De nouveau, Salomon s’efface devant sœur Charles-Thérèse. On commence par la visite de la basilique byzantine de la Nativité. Elle ressemble à Saint Paul de Rome. Les perses, au début du VIIème siècle, l’ont laissée debout, ayant reconnu trois des leurs dans une représentation des Rois Mages au dessus de l’entrée. Un office orthodoxe s’y déroule dans le chœur. Nous passons de là vers la crèche. On y descend par quelques marches. Le pauvre lieu où Jésus a été adoré par les bergers est un peu surchargé de marbre et de dorure.
Dans l’enchevêtrement des souterrains et des grottes, nous arrivons là où a vécu Saint Jérôme. Il s’était établi là pour rédiger la Vulgate, première traduction latine complète de la Bible. Elle sera penddant quinze siècles la version officielle de la Bible en Occident, sera imprimée par Gütenberg et traduite par Lüther. Nous entrons ensuite directement dans la basilique catholique de Sainte Catherine, que nous sommes habitués à voir à la télévision pour la messe de minuit. Nous terminons par le très beau petit cloître, où l’on s’attend à voir l’instant devenir éternel.
Après une halte dans le magasin où Salomon nous conduit, qui lui aussi souligne le contraste avec les boutiques du Cardo, nous reprenons la route pour Haïfa. Dur retour au quotidien dans les embouteillages, il faut presque trois heures. Salomon a le mot juste : " J’en suis sûr, vous reviendrez ! " Un autre sentiment nous habite, non de nostalgie mais de tristesse : nous pensons à ceux qui ont dû rester à bord.
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