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Note doctrinale sur le nouvel ordo

Note doctrinale sur le nouvel ordo

Préambule
La Note doctrinale qu'on va lire a été publiée une première fois en édition ronéotypée, puis imprimée par les soins de "Défense du Foyer". Ce premier texte a été envoyé aux trois Cardinaux Ottaviani, Journet et Daniélou, à plusieurs évêques et théologiens, ainsi qu'au Pasteur Max Thurian.
Quelques retouches de détail ont été apportées, quelques notes explicatives ajoutées, pour tenir compte des remarques qui nous avaient été faites. L'ensemble ne constitue pas une étude exhaustive sur l'Ordo Missae, ni une réfutation détaillée du "Bref examen" et des écrits contestataires qui l'ont suivi - ce serait là un travail très facile, très fastidieux, et probablement inutile. Néanmoins, notre étude suffit, avec les très hautes approbations qu'elle a recueillies, à faire constater à tout esprit de bonne foi l'orthodoxie du nouvel Ordo, son caractère traditionnel et l'obligation pour tout catholique d'obéir au Pape qui l'a légitimement promulgué.

NOTE DOCTRINALE SUR LE NOUVEL ORDO MISSAE
"La contre contestation n'est pas une contestation en sens contraire, mais le contraire de la contestation." (transposé de Joseph de MAISTRE).
Le nouvel Ordo Missae promulgué par Sa Sainteté Paul VI, et entré en application à partir du 30 novembre, a soulevé des inquiétudes et provoqué des oppositions parfois catégoriques parmi les fidèles les plus attachés à la tradition catholique romaine. L'Ordre des chevaliers de Notre-Dame, qui fait profession "d'aimer et de défendre l'Église, sa foi, sa hiérarchie, ses institutions" (Règle, 11, 12), se doit de prendre position avec netteté sur un problème aussi important, en excluant toute considération de prudence humaine, et en ayant le seul souci de la vérité et du bien commun de l'Église et des âmes.

PROFESSION DE FOI ET DECLARATION D'INTENTION.
A ceux qui liront cette note doctrinale sans connaître l'Ordre, nous déclarons ceci : les chevaliers de Notre-Dame sont catholiques et romains, et n'acceptent aucun adjectif ajouté à ces deux noms augustes et inséparables, qui se suffisent absolument à eux-mêmes. Ils reçoivent la foi catholique dans toute son étendue et toute sa rigueur, telle qu'elle a toujours et partout été enseignée par les Pontifes romains et les évêques en communion avec le Saint-Siège apostolique, qu'ils soient ou non réunis en concile. Ils reçoivent tous les enseignements du II° Concile du Vatican comme éléments authentiques de la Tradition catholique, qui ne sauraient en aucun cas être interprétés en dehors de cette tradition, ou en contradiction avec elle (voir Capitulaire doctrinal n°1).
En ce qui concerne la nature de la sainte Messe, les chevaliers de Notre-Dame, comme tous les catholiques, tiennent pour définitif et irréformable renseignement du Concile de Trente sur la Messe comme vrai sacrifice, identique à l'unique sacrifice du Christ ; sur la nature du sacerdoce et le rôle unique du prêtre ; sur la présence réelle du Christ sous les espèces sacramentelles par transsubstantiation.
Les chevaliers de Notre-Dame, comme tous les catholiques, professent que ces vérités fondamentales sont absolument nécessaires au salut, qu'elles doivent être clairement exprimées et manifestées dans la sainte Liturgie, et qu'aucun souci œcuménique ne doit conduire à les nier, à les masquer, à les passer sous silence, ou à les exprimer d'une manière ambiguë.
Mais les vérités de la foi s'expriment différemment dans la Sainte Écriture, dans un traité de théologie ou dans la Liturgie. Comme la Sainte Écriture est l'objet d'une science particulière, l'exégèse, qui a ses lois propres et ses méthodes rigoureuses, de même la Liturgie est l'objet d'une science qui s'appuie sur l'histoire des rites sacrés, étudie leur structure, dégage leur signification, distingue l'essentiel de l'accidentel, et peut proposer à l'Autorité suprême des modifications, des simplifications ou la reprise d'éléments anciens, pourvu que tout cela soit solidement fondé en tradition. Le théologien, lorsqu'il juge l'œuvre de l'exégète ou celle du liturgiste, ne doit pas faire abstraction de ces sciences et de leurs données historiques, mais au contraire les faire entrer dans son raisonnement comme des éléments essentiels : car en liturgie surtout, c'est l'usage séculaire de l'Église infaillible qui est la principale règle.
C'est dans cet esprit que nous avons étudié le nouvel Ordo Missae et les objections qui lui sont opposées, et que nous avons décidé de rendre publiques nos conclusions.

EXAMEN DES PRINCIPAUX POINTS QUI FONT DIFFICULTE.
1) La définition du chapitre II de l'Institutio generalis.
En voici le texte et la traduction : "Cena dominica sive Missa est sacra synaxis seu congregatio populi Dei in unum convenientis, sacerdote praeside, ad memoriale Domini celebrandum". — "La Cène du Seigneur ou Messe est une synaxe sacrée ou réunion du peuple de Dieu en un seul lieu, sous la présidence (mais le mot latin dit plus, et n'a pas la saveur démocratique qui s'est attachée au mot président dans nos langues modernes) d'un prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur".
Remarquons tout d'abord que la présence d'une définition de la Messe dans un code de rubriques est insolite ; le Missel de S. Pie V n'en comportait aucune. Les rubriques ne sont pas un traité de théologie. Celle-ci n'a pas été élaborée par la commission chargée de l'Ordo, mais insérée après coup, revêtue a-t-on dit, de hautes approbations.
Quoiqu'il en soit, cette définition ou description de la Messe présente à première vue deux graves défauts :
Elle semble ignorer totalement la Messe privée, pourtant reconnue comme telle par le nouvel Ordo. Car la Messe privée, par définition, n'est pas une réunion "physique" du peuple de Dieu, et donc le prêtre ne préside rien du tout. Une définition ou une description correcte de la Messe devrait pouvoir s'appliquer à toute Messe, indépendamment des conditions extérieures de sa célébration,
D'autre part, isolée de son contexte, cette définition est équivoque. On l'a qualifiée de protestante, et de fait, n'était le mot "sacerdos" qui devrait alors signifier seulement quelque chose comme "représentant du peuple sacerdotal", un calviniste pourrait l'accepter.
Qu'en est-il exactement ? Quel sens a été réellement voulu par ses auteurs ? Catholique ? Protestant ?
Autrement dit, la Messe est-elle ramenée à la "Cène" protestante, et le "Mémorial du Seigneur" n'est-il qu'un geste de souvenir, un "symbole" du sacrifice de la Croix et de la "présence spirituelle" du Christ au milieu des siens ? Ou bien, au contraire, la "Cena dominica" doit-elle être comprise comme identique à la Messe catholique au sens traditionnel ?
Pour répondre en toute certitude à cette question essentielle, il suffit de se reporter à trois textes qui éclairent la définition litigieuse :
a) Au chapitre 1 de l'Institutio generalis, n° 2, donc une page avant, on peut lire ceci :
"Il importe au plus haut point que la célébration de la Messe ou Cène du Seigneur soit ordonnée de telle manière que ministres et fidèles participant à celle-ci selon sa condition, en reçoivent plus pleinement les fruits en vue desquels le Christ Seigneur institua le sacrifice eucharistique de son Corps et de son Sang, et le confia à l'Eglise son Epouse bien-aimée, comme mémorial de sa Passion et de sa Résurrection". Au numéro 48, la Messe est définie comme la dernière Cène rendue présente lorsque le Prêtre, représentant le Christ Seigneur, accomplit ce que fit le Seigneur lui-même. Passage très clair, où manque cependant une référence au sacrifice de la Croix.
Mais cette référence, on la trouve au n° 259 où l'on peut lire :
"L'Autel, sur lequel le sacrifice de la Croix est rendu présent sous les signes sacramentels, est aussi la Table du Seigneur, à la participation de laquelle, à la Messe, le peuple de Dieu est convoqué ; il est en outre le centre de l'action de grâce qui s'accomplit par l'Eucharistie."
Au numéro 48 encore, la Présence réelle est clairement signifiée : "Dans la "Prière eucharistique"... les oblats deviennent le Corps et le Sang du Christ".
Ces passages, parfaitement catholiques, suffiraient à eux seuls à ôter toute équivoque et à donner à la définition du ch. II sa seule interprétation possible, puisque le "Mémorial" y est défini comme étant le sacrifice eucharistique du Corps et du Sang du Christ, institué par le Christ et confié à l'Eglise. Rien de protestant là-dedans. Il est regrettable que les théologiens qui ont critiqué la définition du chapitre II, aient omis de signaler ces importants correctifs. Mais ce n'est pas tout :

b) La définition du chapitre II comporte deux références aux enseignements du Concile Vatican II :
Le décret "Presbyterorum Ordinis" n°5. Ce passage est tout-à-fait explicite quant à la signification du sacerdoce des prêtres catholiques et de leur office propre qui est "d'offrir sacramentellement le sacrifice du Christ"... "Car la sainte Eucharistie contient tout le trésor spirituel de l'Eglise, c'est-à-dire le Christ Lui-même, Lui dont la chair, vivifiée par l'Esprit-Saint et vivifiante, donne la vie aux hommes...
Ainsi, c'est l'assemblée eucharistique (sacra synaxis) qui est le centre de la communauté des fidèles à laquelle le prêtre préside" (cul Presbyter "praeest" — praeesse: être à la tête de, présider, avoir la direction de).
Il est donc parfaitement clair que pour ce Décret conciliaire auquel on nous renvoie explicitement :
— le prêtre offre le sacrifice eucharistique ;
— l'Eucharistie contient le Christ Lui-même ;
— "Présider" l'Assemblée eucharistique (sacra synaxis) signifie offrir le sacrifice du Christ réellement présent.
La deuxième référence vise la Constitution sur la Liturgie, n°33, où il est dit que le Prêtre "préside" l'Assemblée "in persona Christi", c'est-à-dire comme tenant la place
du Christ souverain et unique Prêtre, (et non comme délégué du peuple de Dieu).
Ainsi, par ces deux références et par les n°2, 48 et 259, nous avons la signification précise des termes qui, hors contexte, étaient équivoques et ouvraient la porte à l'interprétation protestante. Nous savons maintenant que les expressions mémorial du Seigneur, synaxe sacrée, préséance ou présidence du prêtre, ont un sens catholique.
Enfin, comme si ce qui précède ne suffisait pas, le Pape a tenu à mettre les choses au point dans son allocution du 19 novembre 1969 :
"... La Messe est et reste le mémorial de la dernière Cène du Christ au cours de laquelle le Seigneur, changeant le pain et le vin en Son Corps et en Son Sang, institua le sacrifice du Nouveau Testament, et voulut que par la vertu de Son sacerdoce conféré aux Apôtres, il fut renouvelé dans son identité, mais offert sous un mode différent, à savoir d'une manière non-sanglante et sacramentelle, en perpétuelle mémoire de Lui jusqu'à son dernier avènement. "
"... Les conséquences prévues, ou mieux, désirées (de cette innovation), sont une participation des fidèles plus intelligente plus pratique, plus ressentie, plus sanctifiante, au mystère liturgique, c'est-à-dire à l'écoute de la Parole de Dieu qui vit et retentit dans les siècles et dans l'histoire de chacune de nos âmes et à la réalité mystique du sacrifice sacramentel et propitiatoire du Christ..."
Monsieur l'abbé Luc J. LEFEVRE, l'éminent directeur de "La Pensée Catholique" (Ed. du Cèdre, 13 rue Mazarine), a dénoncé publiquement les mutilations que la Presse française, à la suite de l'A.F.P. (elle-même trompée par qui ?) a fait subir aux paroles du Saint-Père : on a supprimé l'institution du sacrifice de la Nouvelle Alliance, le sacerdoce du Christ conféré aux Apôtres, la représentation du Sacrifice propitiatoire du Christ, le renouvellement de ce sacrifice dans son identité." Bref, commente l'Abbé Lefèvre, on a supprimé tout ce qui rappelle, dans cette allocution, l'essence originelle et traditionnelle de notre Messe (Paul VI). Pourquoi ?"
Mais enfin, ces paroles du Pape ont bel et bien été prononcées, on les trouve dans le tract de l'Abbé Lefèvre (extrait du n° 123 de la Pensée Catholique), dans la Croix et dans la Documentation Catholique. Elles sont en pleine harmonie avec la doctrine du Concile de Trente, de "Mysterium fidei" (1965) et de la Profession de foi de 1968. Pouvait-il en être autrement ?
Voici notre conclusion ferme et certaine à cette première partie de notre Note : La définition du chapitre II, dont on a dit qu'elle commandait toute l'interprétation de la Messe selon le nouvel Ordo, n'est pas hérétique, mais catholique. Néanmoins, étant donné que, prise hors de son contexte, elle est équivoque, et que par ailleurs, elle ne rend pas compte de la Messe privée, nous demanderons au Saint Père de bien vouloir la compléter, et d'insérer dans la Constitution apostolique qui précède l'Instruction générale un rappel de la doctrine traditionnelle aussi clair que la Profession de foi ou la susdite allocution du 19 novembre.

2) L'Offertoire.
On a dit que le nouvel Ordo avait supprimé l'Offertoire, et que cette suppression rendait la Messe hérétique, voire invalide, en l'amputant d'un élément essentiel.
Pour répondre à cette question, il suffit de comparer le nouveau rite avec l'ancien :

Offertoire de S. Pie V.
Offertoire du nouvel Ordo.

a) Offrande du pain avec geste d'élévation et prière "Suscipe, sancte Pater hanc immaculatam hostiam... "
a) Offrande du pain : geste d'élévation, prière "Benedictus es... quia ... accepimus panem quem tibi offerimus... ex quo nobis fiet panis vitae".

b) Mélange de l'eau et du vin avec l'oraison "Deus qui humanae substantiae... "
b) Mélange de l'eau et du vin avec formule courte tirée de l'oraison "Deus qui humanae..."

c) Offrande du vin : Offerimus tibi, Domine, calicem salutaris...
c) Offrande du vin, avec la formule Benedictus es... calquée sur celle du pain.

d) Prière "In spiritu humilitatis" et bénédiction "Veni sanctificator... et benedic hoc sacrificium tuo sancto Nomini praeparatum".
d) Prière "In spiritu humilitatis", intégralement conservée de l'Ordo de S. Pie V, avec la mention du sacrifice. — "Veni sanctificator" est supprimé.

e) Lavement des mains, avec le psaume 25 : Lavabo.
e) Lavement des mains, avec verset tiré du psaume 50.

f) Dernière prière d'offrande (qui fait doublet avec les précédentes) : Suscipe, sancta Trinitas...
f) La dernière oraison d'offrande est supprimée.


Commentaire.
a) Un simple coup d'œil montre que l'offertoire est conservé dans sa substance par le nouvel Ordo, et qu'il suit le même schéma que l'ancien.
b) Il n'est pas question de critiquer l'offertoire de l'Ordo de S. Pie V, dont les prières sont très belles, mais il faut souligner les difficultés qu'il soulève :
Les formules employées s'appliquent à un sacrifice, elle parlent d'hostie immaculée, de calice du salut, de sacrifice, etc. Or, l'hostie immaculée, c'est Jésus, ce n'est pas le pain que nous présentons sur l'autel en vue du sacrifice. De même, le calice salutaire, c'est la coupe du Sang du Christ, ce n'est pas le vin que nous apportons. Enfin, l'offertoire du pain et du vin n'est pas un sacrifice, car il n'y a pas d'autre sacrifice que celui du Christ, lequel est renouvelé, représenté sur l'autel à la consécration, et que le prêtre offre au Père au moment de l'anamnèse, au nom de toute l'Eglise. Nous savons bien que l'Offertoire de S. Pie V n'enseignait rien de pareil, et que ses formules ne faisaient que désigner par avance ce qui s'accomplirait sur l'autel au moment de la consécration : il n'empêche qu'elles pouvaient prêter à confusion, et que de fait, des théories erronées se sont appuyées sur elles. Elles pouvaient favoriser une espèce de religion de l'homme qui se croit capable par lui-même d'offrir quelque chose à Dieu. Lepin avait parlé à propos de l'Offertoire de "sacrifice de la Loi naturelle" qui précéderait à la Messe le sacrifice du Christ : mais cela est tout-à-fait inacceptable, tous les sacrifices ayant été abolis par l'unique sacrifice de Jésus.
c) Si donc une partie de la Messe pouvait être "réformée", c'est bien celle-là. En définitive, qu'est l'Offertoire ? C'est la préparation de la matière du sacrifice, sa mise à part des choses profanes, sa présentation à Dieu en vue du sacrifice. C'est l'esquisse d'une offrande inachevable par l'homme, et que seul le Christ pourra saisir pour en faire son offrande, l'offrande sacrificielle de Lui-même, de son Corps et de son Sang. Par conséquent, l'offertoire ne doit pas détourner l'attention des fidèles de la consécration où se situe le sacrifice unique et véritable, mais bien plutôt l'orienter vers elle... Ce n'est pas à l'Offertoire qu'il faut parler de sacrifice et d'oblation (sinon pour annoncer l'un et l'autre) mais au cœur même de l'anaphore ou canon. C'est ce qu'ont toujours fait les liturgies traditionnelles, à commencer par le Canon romain. C'est ce que font les nouvelles anaphores, comme on le verra par la suite,
d) D'ailleurs, plutôt que de raisonner dans l'abstrait, le théologien doit interroger la Tradition. Car en liturgie plus encore que dans d'autres disciplines, c'est l'usage de l'Eglise qui est la règle de référence absolue.
Parmi les témoins de la Tradition, les Ordines Romani tiennent assurément une place privilégiée. L'Ordo romanus primus du VIII° siècle nous offre l'exemple d'une liturgie vivante, d'une magnificence non pareille, tout à l'opposé des "célébrations" dont rêvent nos petits vicaires progressistes. C'est la Messe solennelle du Pape à Rome.
Voyons l'Offertoire : le peuple remet ses offrandes aux diacres qui les portent sur l'Autel ; le Pape prend ses propres offrandes (pain et vin) et les dépose lui-même sur l'Autel. Point final. Pas de geste d'élévation. Pas de prière spéciale. Dira-t-on que l'Offertoire n'existe-pas ? Mais si, il existe ! Le geste de déposer les offrandes sur l'autel suffit, avec l'oraison sur les oblats, appelée autrefois "secrète". Il a suffi à l'Eglise romaine pendant huit siècles et plus, et le nouvel Ordo aurait très bien pu revenir à cet usage d'une absolue simplicité sans que personne ait le droit de le taxer d'hérésie ; il ne l'a pas fait, parce qu'il a voulu tenir compte du développement liturgique ultérieur. En cela, il s'est montré "traditionnel", et c'est bien ainsi.
On dira que le VIII° siècle est loin, que la liturgie a progressé depuis, et qu'il n'est pas permis de revenir en arrière. Eh bien, prenons l'exemple des Chartreux. Les Chartreux ont une liturgie propre qu'ils gardent depuis saint Bruno avec la pleine approbation de l'Eglise romaine, cela va sans dire. Voici ce qui a trait à l'Offertoire :
— En mélangeant l'eau au vin, le prêtre dit : "Du côté de N.S.J.C. sortit du sang et de l'eau, en rémission des péchés. Au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen". Il se lave les mains en récitant deux ou trois versets du psaume Lavabo. Quand il offre le calice, en le tenant un peu élevé, il dit : In spiritu humilitatis... etc, puis il le dépose en faisant le signe de la croix et en disant : au Nom du Père... etc. C'est tout. Et c'est parfaitement catholique.

e) Voici la formule d'Offertoire du nouvel Ordo :
Benedictus es, Domine, Deus universi,
quia de tua largitate accepimus panem (ou : vinum)
quem tibi offerimus
fructum terrae (ou: vitis) et operis manuum hominum
ex quo nobis fiet parus vitae (ou: potus spiritualis).

Trois remarques à ce sujet :
1° L'emploi de la même formule pour le pain et pour le vin témoigne d'un manque certain d'imagination.
2° La formule s'inspire des "bénédictions" (Berakôt) juives dont est sortie directement la prière chrétienne eucharistique. Notre-Seigneur à la Cène a prononcé des prières du même genre pour la "bénédiction" du pain et celle du Calice. De soi, il serait préférable de réserver la forme de prière eucharistique à l'Eucharistie proprement dite, c'est-à-dire à la Préface et à l'anaphore.
3° "Deus universi" n'est pas biblique et rappelle fâcheusement la traduction française du Sanctus, où "Dieu de l'Univers" prétend remplacer Deus Sabaoth. Il fallait garder Sabaoth ou traduire par "Deus exercituum" ou "Deus virtutum" (cf. Ps 23, 10; 45, 8... etc.), ou bien encore choisir une formule biblique telle que "Deus Rex omnis terrae".

En conclusion : l'Offertoire du nouvel Ordo est parfaitement orthodoxe, mais la formule "Benedictus es" devrait être corrigée ou remplacée par une autre qui soit de meilleure inspiration, Nous le demanderons au Saint-Père.

3) La notion de sacrifice a-t-elle disparu du nouvel Ordo ?

Dans l'Offertoire de S. Pie V, le mot "sacrificium" se trouve 2 fois; 1 fois dans le nouvel Ordo. Les mots hostia, oblatio ont disparu du nouvel offertoire, à bon droit comme il a été dit plus haut. En revanche, l'idée de sacrifice au sens strict, comme devant se réaliser (à la consécration) est affirmée avec force par l'Orate fratres: ut meum ac vestrum sacrificium acceptabile fiat apud Deum Patrem omnipotentem'', et la réponse du peuple: "Suscipiat Dominus sacrificium de manibus tuis..."
La formule traditionnelle est d'une telle clarté qu'elle n'a besoin d'aucune explication ;
aucun protestant qui en serait resté aux négations de la Réforme ne peut prononcer ces mots-là... Malheureusement, le texte français actuel ne ressemble que de très loin à l'original, et fait perdre à la formule tout son sens théologique.
Mais l'idée de sacrifice se trouve là où elle doit être, c'est-à-dire dans chacune des anaphores et singulièrement à l'anamnèse, c'est-à-dire à la prière qui fait suite au récit de l'Institution et aux paroles de la consécration, prière par laquelle nous "faisons mémoire" de la mort et de la résurrection du Sauveur et offrons au Père avec Lui son Corps et son Sang réellement présents sur l'Autel.
— Dans l'anaphore 2 (de St Hippolyte) : "Memores igitur mortis et resurrectionis ejus, tibi, Domine, panem vitae et calicem salutis offerimus, gratias agentes...
— Dans l'anaphore 3 : "Memores... offerimus tibi, gratias referentes, hoc sacrificium vivum et sanctum. Respice, quaesumus, in oblationem Ecclesiae tuae, et agnoscens Hostiam cujus voluisti immolatione placari, concede, ut qui Corpore et Sanguine Filii tui reficimus... Haec Hostia nostrae reconciliationis proficiat...
— Dans l'anaphore 4 : "Offerimus tibi ejus Corpus et Sanguinem, sacrificium tibi acceptabile, et toti mundo salutare — Respice, Domine, in Hostiam...
Par ailleurs, nous savons de source absolument sûre et directe, que les formules en question ont été choisies parmi les plus explicites dans les anciennes liturgies latines non romaines, notamment celle du Sacramentaire de Tolède et du Missale gothicum.
Il faut n'avoir pas lu les textes, ou être aveuglé par la passion de l'immobilisme à tout prix, pour prétendre que le nouvel Ordo est hérétique, ou polyvalent, ou favorisant l'hérésie. Ou encore que la Messe selon le nouvel Ordo est invalide, ou risque de l'être parce qu'elle pourrait être célébrée par des prêtres modernistes n'ayant pas la foi ni l'intention de faire ce que fait l'Eglise.
Ce danger n'existe ni plus ni moins que pour l'Ordo de S. Pie V. N'importe quel prêtre moderniste peut célébrer l'Ordo de S. Pie V invalidement; il le pourra aussi pour le nouvel Ordo, comme il le pourrait pour n'importe quelle liturgie orientale ou occidentale ; à coup de restriction mentale et d'hypocrisie. Cela n'arrive pas tous les jours, Dieu merci.

4) Autre série d'objections.
• On ne voit pas très bien pourquoi les Kyrie eleison passent de 9 à 6, c'est-à-dire sont répétés 2 fois au lieu de 3. Le symbolisme trinitaire n'est plus respecté; de plus, beaucoup de mélodies grégoriennes sont composées en vue des 9 invocations, et la réduction à 6 en détruit l'harmonie.
Il est vrai que les fidèles qui sont contraints de dire "Seigneur, prends pitié", (ce qui est à la fois une faute de français et une faute de goût), éprouveront quelque soulagement à prononcer ce barbarisme 3 fois au lieu de 4...

• On regrette vivement que l'embolisme (prière qui développe la dernière demande du Pater) ait été tronqué, et l'on a raison. On a ajouté une fort belle pensée de saint Paul (Tite 2, 13): "Exspectantes beatam spem et adventum Salvatoris nostri Jesu Christi". "Attendant la bienheureuse espérance et l'avènement de notre Sauveur Jésus-Christ" (le texte complet de S. Paul dit: "de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ").
La traduction française officielle dit fort platement : "Où nous espérons le bonheur que tu promets et l'avènement de Jésus-Christ notre Sauveur".
Est-ce pour ces deux lignes ajoutées que l'on a supprimé "l'intercession de la bienheureuse et glorieuse toujours-Vierge Marie, des bienheureux Apôtres Pierre et Paul, et André, et de tous les saints"? Nous demanderons instamment au Saint-Père de nous rendre l'intercession de Marie toujours Vierge, et celle des deux Colonnes de la sainte Eglise, qui autrement ne sont plus invoqués que dans le Canon Romain. Nous obtiendrons satisfaction, parce que nous y avons droit.

• On a dit que la doxologie ajoutée en conclusion à l'embolisme, était "protestante": "Quia tuum est regnum et potestas et gloria in saecula" (Car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire pour les siècles des siècles). En réalité, cette magnifique doxologie ne figure pas dans l'Evangile, mais appartient à la tradition liturgique la plus antique: on la rencontre pour la première fois dans la Didachè 8, 2 (Ier et Ile siècle) puis dans les Constitutions des Apôtres (Livre III, chap. 18, n° 2 et Livre VII, chap. 24, n° 1) et chez de nombreux Pères grecs et orientaux. De l'usage liturgique, elle est passée dans certains manuscrits de l'Evangile, et c'est pour cela que les Protestants l'ont adoptée (voir J. Carmignac, Recherches sur le Notre Père, chap. XIV. Ed. Letouzey 1969). Le nouvel Ordo ne fait que reprendre une tradition liturgique catholique. Il faut s'en réjouir, comme il faut se réjouir que les Protestants s'en réjouissent;

• On s'est plaint de la formule qui précède la communion: "Corpus Christi custodiat me in vitam aeternam"; elle remplace : "Corpus D.N.J.C. custodiat animam meam in vitam aeternam". Le nouvel Ordo ne professe plus l'existence de l'âme! Pardon! Lisez, s'il vous plaît, une ligne au-dessus: "... et sanabitur anima mea". D'ailleurs, ce n'est pas l'âme seule qui est le sujet du salut, mais tout l'homme, âme et corps, et il n'est pas mauvais de rappeler aux chrétiens la foi en la résurrection.

• On s'est moqué du baiser de paix ou du signe d'amitié que les fidèles devraient se donner "selon les Coutumes des lieux". Là, nous sommes tout-à-fait d'accord. En dehors des "corps constitués" (moines, ordres, confréries) le geste sera ridicule, et le ridicule le tuera.

• On a prétendu que le nouvel Ordo donnait trop d'importance à la liturgie de la parole. Mais il n'en est rien: trois lectures le dimanche et aux grandes fêtes, tirées de l'Ancien Testament, des Epîtres et de l'Evangile, le tout beaucoup plus varié qu'avant, c'est excellent. Les Catholiques finiront peut-être par connaître un peu plus l'Ecriture Sainte, ce sera tout bénéfice. Les Protestants seront contents? Ils auront raison. Voilà du bon œcuménisme,

• On a regretté la suppression de plusieurs génuflexions, de la plupart des baisers à l'autel, de quelques Dominus vobiscum. Mais il en reste suffisamment pour signifier l'adoration et saluer rassemblée aux moments les plus importants. Nous noterons toutefois que les réformateurs liturgiques ne semblent pas avoir assez d'estime pour les gestes du corps. C'est là une grave erreur, car ces gestes conditionnent pour une part l'attitude spirituelle en même temps qu'ils l'expriment. D'une manière générale, il faut avouer que les liturgistes actuels — au moins certains d'entre eux — ne sont guère étouffés par le sens du sacré. Beaucoup de prêtres non plus, hélas. Il faudrait que les fidèles les y entraînent, les y poussent, les y obligent, les y forcent.

• On s'est scandalisé d'apprendre que la pierre d'autel n'est plus obligatoire, et que des autels en bois peuvent être consacrés. Qu'un aumônier aux Armées soit dispensé de la pierre d'autel, c'est assez normal. Mais la liberté, à notre sens, va nettement trop loin. On s'achemine ainsi vers l'autel-table, puis vers la table tout court, puis vers les petites tables. Cela s'est déjà vu, et risque de se multiplier. Nous réagirons vigoureusement contre tous les abus dont nous serons témoins. Et nous demandons au Saint-Père de limiter cette dangereuse liberté.

5) Deux objections extrinsèques.
a) L'approbation de l'Ordo par des Protestants.
Le frère Max THURIAN, de Taizé, dans un article de la Croix (30 mai 1969), exprime sa satisfaction du nouvel Ordo, et conclut, dans son enthousiasme: "Un des fruits en sera peut-être que des communautés non-catholiques pourront célébrer la Sainte Cène avec les mêmes prières que l'Eglise catholique. Théologiquement, c'est possible". Cette déclaration a jeté le trouble dans de nombreuses consciences catholiques, et ce n'est certes pas ce que voulait son auteur.
Mais avant de s'émouvoir, il faut se demander qui est le frère Thurian, quel genre de protestant il représente. A la tête de la communauté de Taizé dont l'œcuménisme est toute l'espérance, il représente l'extrême pointe du protestantisme vers le catholicisme. Sur bien des points, il est proche de notre foi, en particulier sur l'Eucharistie. Il reste dans le protestantisme pour tâcher d'entraîner vers l'unité une multitude de ses frères. A-t-il raison ? C'est une autre affaire.
Quand on parle d'œcuménisme, il faut distinguer d'une part la doctrine, d'autre part la sensibilité religieuse.
En matière de doctrine, le fossé est profond et ne sera comblé à l'heure de Dieu. que lorsque nous aurons su présenter, dans nos paroles et notre vie, la puissante harmonie et la splendeur du dogme catholique ; et que nos frères séparés auront compris que le Christianisme qu'ils cherchaient se trouve en plénitude dans l'Eglise dont Pierre est le fondement.
En matière de sensibilité religieuse, beaucoup d'obstacles peuvent être aplanis. Pour une sensibilité calviniste, l'Ordo de S. Pie V représente quelque chose contre quoi viennent buter des siècles de préjugés; et l'on comprend que l'apparition d'un nouvel Ordo, où une place plus grande est faite à l'annonce de la Parole de Dieu, à la "prière des fidèles" et à l'homélie, où le "peuple de Dieu" est plus visiblement associé à la liturgie par des réponses, des chants et des acclamations, on comprend qu'un tel Ordo, qui maintient intégralement la doctrine catholique sur l'Eucharistie, soit néanmoins plus accessible à la sensibilité protestante. Enfin et surtout, la suppression, à l'offertoire, de toute formule qui pouvait prêter à confusion en suggérant l'idée d'un sacrifice naturel, quasi autonome par rapport au sacrifice de la Croix, ne fait que satisfaire un protestant comme elle satisfait les catholiques (Note 1).
Vais-je donc crier au scandale parce que mes frères commencent à se sentir attirés par la Maison du Père ?
Vais-je les repousser parce que le désir leur vient de prier avec les mêmes paroles que moi ? Vais-je les traiter en ennemis parce qu'ils sont nés hors de l'Eglise, sans qu'il y ait faute de leur part ? Si leur cœur est gagné, est-ce que la foi ne va pas suivre ?
Si nos belles anaphores leur plaisent ou tout au moins ne les rebutent plus, la foi au Sacrifice et à la Présence réelle ne va-t-elle pas s'insinuer peu à peu dans leur cœur et triompher finalement des dernières erreurs, des derniers préjugés ? Quand Max Thurian parle des communautés non catholiques qui pourront PEUT-ETRE utiliser le nouvel Ordo, il pense à Taizé. Et il est bien trop honnête et beaucoup trop bon théologien pour ne pas savoir que le jour où sa Communauté serait mûre pour le nouvel Ordo, elle n'aurait plus qu'à chanter sa profession de foi catholique et à demander le sacerdoce du Christ aux mains de nos évêques.
Voilà pourquoi la déclaration de Max Thurian, pour maladroite qu'elle soit dans sa formulation est un motif de joie pour les catholiques — j'entends pour les vrais catholiques, ceux qui ne sacrifieront jamais une seule vérité de la foi à une unité artificielle, mais qui désirent de toute leur âme partager avec tous leurs frères chrétiens le trésor catholique dont l'Eglise romaine est la gardienne et la dispensatrice.
D'autres pasteurs protestants ont manifesté le même intérêt pour le nouvel Ordo. Récemment, M. Gérard SIEGWALT, professeur de dogmatique à la faculté protestante de Strasbourg, a adressé une lettre à Mgr. Elchinger pour lui demander la permission de communier dans nos églises, déclarant que rien ne le gênait dans la Messe "renouvelée". Bien sûr, il ne peut être question de lui donner satisfaction, car chacun sait que l'intercommunion entre chrétiens séparés est un non-sens et un obstacle au véritable œcuménisme (et l'on aurait aimé une réponse moins alambiquée de l'évêque) ; mais de deux choses l'une: ou il est un luthérien de stricte observance, et alors il n'a pas lu l'Ordo, ou bien il est tout proche de notre foi, et il désire s'en rapprocher encore par le moyen (mal choisi) de la communion.

De toutes manières, on ne peut en rien arguer de ces prises de position de quelques rares protestants pour déclarer que le nouvel Ordo est protestant. Le fait est là, patent, clair comme le jour: la Messe est un sacrifice, le sacrifice unique du Christ réellement présent, cela est affirmé par le nouvel Ordo tout aussi nettement que par celui de S. Pie V. Si un protestant admet cela, il est sur ce point essentiel en accord avec l'Eglise catholique. S'il ne l'admet pas, alors il ne peut accepter l'Ordo (Note 1).

Si quelques protestants proches de nous se sont réjouis de la publication du nouvel Ordo, il ne faut pas oublier que l'ensemble des modernistes cache mal son désappointement et ne cache pas du tout sa volonté "d'aller au delà". En 1970, ce ne sont pas les arrière-petits fils des Huguenots qui sont les ennemis de l'Eglise, mais les modernistes destructeurs du christianisme.

b) La lettre du Cardinal Ottaviani.
On connaît la supplique adressée au Saint-Père par les Cardinaux Ottaviani et Bacci, demandant que l'Ordo de S. Pie V puisse continuer à être utilisé et affirmant, par référence à un "Bref examen critique" que "le nouvel Ordo, si l'on considère les éléments nouveaux, susceptibles d'appréciations fort diverses, qui paraissent sous-entendus ou impliqués, s'éloigne de façon impressionnante, dans l'ensemble comme dans le détail de la théologie catholique de la sainte Messe telle qu'elle a été formulée a la XX° session du Concile de Trente"...
Nous sommes en mesure d'affirmer que le Vénéré Cardinal Ottaviani a vu tous les textes et qu'il les a approuvés. Certaines formules ont même été adoptées très précisément à sa requête, en particulier les formules eschatologiques et celles qui concernent la liturgie des défunts (anaphore 3).
Or, le "Bref examen" attaque précisément ces formules on recourant à un raisonnement enfantin: si le retour du Christ est attendu et désiré, c'est donc que le Christ n'est pas réellement présent sous les espèces eucharistiques! Il n'y a pas plus de contradiction entre la foi en la Présence réelle et le désir du retour eschatologique qu'entre l'affirmation du Seigneur: "Je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles" (Mt XXVIII, 20) et la promesse de son retour (Actes I, 11). Maintenant, le Seigneur nous est présent comme créateur (présence d'immensité) et comme rédempteur (présence spirituelle par la grâce et présence sacramentelle dans l'Eucharistie); au dernier jour, Il sera présent comme Roi dans toute sa gloire, transformant les siens et transfigurant le monde entier dans la lumière de sa divinité. Lorsque nous lui disons: "Viens, Seigneur Jésus! " (Apoc. XXII, 20), nous aspirons à son règne sur toute la création. Les nombreuses allusions à la Parousie dans la liturgie rénovée comptent assurément parmi les éléments les plus positifs du nouvel Ordo. Cette grande vérité, plus ou moins oubliée par les fidèles ("les dix vierges s'assoupirent et s'endormirent") retentit, à nouveau comme un cri au milieu de notre nuit : Ecce Sponsus venit, aptate lampades vestras ! La plupart des critiques du "Bref examen" ne peuvent pas avoir reçu l'approbation du grand Cardinal tant elles paraissent dénuées de valeur et d'objectivité.
Nous en sommes donc réduits aux hypothèses. Le Cardinal n'a pu approuver le Bref examen ; il est probable qu'on s'est gardé de le lui lire.
En acceptant de faire figurer son nom au bas de la supplique, le Cardinal Ottaviani a approuvé au moins la requête de conserver l'Ordo de S. Pie V et il s'est déclaré solidaire de tous ceux qui souffrent des perpétuels changements de la liturgie ou des incroyables fantaisies individuelles ou collectives qui éclosent un peu partout en marge des réformes officielles. Son geste n'aura pas été vain. Grâce à lui, tous les prêtres qui célèbrent en latin pourront, jusqu'au 30 novembre 1971, utiliser l'un ou l'autre Ordo. Grâce à lui encore, les prêtres âgés ne seront pas obligés de réapprendre à dire la Messe. Grâce à lui enfin, la définition du chapitre II pourra être révisée (Note 2).

6) La question des traductions.
Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent s'applique à l'Ordo Missae publié en latin à Rome. Les traductions dans les langues nationales devront être examinées avec soin. La traduction française est souvent faible et minimisante, parfois elle trahit l'original latin plus qu'elle ne le traduit, mais jusqu'ici elle ne porte pas atteinte à l'intégrité de la Messe. On pourra se procurer l'Ordinaire de la Messe latin-français paru en numéro spécial de "Discours du Pape et chronique romaine" (53 - Saint-Cénéré).
Nous ferons des démarches pour obtenir que les traductions soient plus fidèles.

LE POUVOIR SOUVERAIN DU PAPE SUR LA LITURGIE.
a) Saint Pie V avait promulgué son Ordo "ad perpetuam rei memoriam". Cela ne signifie pas qu'il ait eu la volonté d'établir le rite de manière à ce qu'il demeure inchangé jusqu'à la consommation des siècles. Ce qui demeure et demeurera inchangé, c'est la substance du Mystère, la réalité du Sacrifice eucharistique. Ce qu'un Pape a fait, un autre Pape peut le défaire, en matière de discipline et de rites ecclésiastiques s'entend (non en matière de dogme ou de morale). Paul VI peut donc abroger l'Ordo de Pie V, à condition de le remplacer par un Ordo qui respecte intégralement l'essence de la Messe. Nous avons vu que c'était le cas.
b) Le pouvoir du Pape sur les sacrements de l'Eglise n'est pas sans limite, mais il est étendu. Pie XII, par exemple, a décrété que la matière et la forme du sacrement de l'Ordre consistait exclusivement dans l'imposition des mains et une phrase déterminée de la prière consécratoire. Depuis le moyen-âge, nombreux étaient les théologiens qui tenaient pour la porrection des instruments avec les paroles qui l'accompagnent, ou admettaient au moins que ce rite faisait partie de l'essence du sacrement. Pie XII n'a pas tranché pour le passé; mais désormais, la porrection des instruments est exclue de la matière et de la forme.
c) Le pape n'a pas le pouvoir de bouleverser la messe et les sacrements au point que n'y paraisse plus ce qui est d'institution divine. Il n'a pas le pouvoir de supprimer la messe ou un autre sacrement, ni d'en changer la signification, ni de rejeter tout l'héritage de la Tradition qui nous les a transmis. Nous avons vu que rien de tel n'apparaît dans le nouvel Ordo, qui est un chaînon authentique de la Tradition catholique,
d) Paul VI a promulgué son Ordo dans les formes canoniques par une Constitution Apostolique qui se termine par ces mots: "Nous voulons que ce que nous avons statué et prescrit soit dès maintenant et à l'avenir ferme et efficace"... Nous sommes en présence d'une volonté clairement signifiée par le Vicaire du Christ, qui a toute autorité pour le faire. Les arguties et finasseries de certains canonistes n'y peuvent rien.
e) Enfin, et c'est le plus important : le Pontife Romain, statuant souverainement sur une matière d'une importance suprême comme est la façon de célébrer le sacrifice de la Nouvelle Alliance, jouit pleinement du charisme de l'infaillibilité. Il est exclu qu'il puisse se tromper, tromper les évêques, tous les prêtres et tous les fidèles de l'Eglise latine, en promulguant une Messe qui serait hérétique ou proche de l'hérésie, ou risquant d'induire l'Eglise en erreur sur la nature du Sacrifice eucharistique (Note 3).
Le nouvel Ordo est pleinement catholique. Cela ressort de l'examen attentif que nous en avons fait. Cela s'appuie sur l'infaillibilité pontificale, laquelle est un dogme de foi catholique.

CONCLUSION GENERALE.
Au cours de cette étude, nous avons montré, textes en main, que le nouvel Ordo, s'il apporte des changements notables dans la manière de célébrer la Messe, ne constitue en aucune façon une subversion de la liturgie traditionnelle. Notre Messe catholique reste ce qu'elle a toujours été: le renouvellement du sacrifice de la Croix. Au passage, nous avons été amené à réfuter des opinions et des jugements erronés, des contre-vérités manifestes qui circulent actuellement parmi nos meilleurs amis. Nous avons simplement voulu rétablir la vérité, car rien de solide ne s'établit en dehors de la vérité, et les meilleures causes sont irrémédiablement compromises par l'ignorance ou la passion.
On nous accusera de voler au secours des "tyrans de la réforme liturgique" et d'accabler le peuple chrétien fidèle qui est excédé par les changements et les abus qui s'ensuivent, et qui voudrait bien pouvoir prier en paix dans des églises qui redeviendraient la Maison de Dieu. Nous partageons entièrement leur écœurement. Nous ferons tout pour que la situation se stabilise, que le vent de folie qui traverse l'Eglise s'apaise, comme la tempête de l'Evangile. Tout, excepté de déclarer noir ce qui est blanc, hérétique ce qui est orthodoxe, moderniste ce qui est traditionnel dans son sens le plus profond — qui n'est pas l'immobilisme, faut-il le rappeler.
On nous taxera de naïveté, d'ignorance du complot moderniste qui, par petites ou grandes touches successives, s'emploie à ruiner la liturgie, le dogme et la morale de l'Eglise. Nous n'ignorons rien de tout cela. Nous pensons même que le moment n'est guère bien choisi au milieu de la crise qui secoue l'Eglise et le monde, pour développer une réforme liturgique de cette ampleur. Mais le Saint Père a choisi de mener à bien cette réforme, malgré la tempête. Avons-nous le droit de contester son autorité souveraine? Si, par impossible, le Pape imposait à l'Eglise une Messe hérétique et schismatique, il faudrait la refuser. Mais justement, l'infaillibilité promise au Successeur de Pierre exclut absolument, non peut-être l'hérésie personnelle, mais qu'il puisse enseigner publiquement ses erreurs et les imposer par voie d'autorité. — Du moins le Pape ne pourrait-il pas, par faiblesse, laisser faire, laisser passer certaines choses dangereuses pour la foi? Certes. Cela est possible dans des cas particuliers, non dans une promulgation de portée universelle. Il faudrait alors crier au feu, crier jusqu'à ce qu'il entende. Mais encore une fois, rien de pareil ne s'est produit avec la publication du nouvel Ordo (Note 4).

Attention! Par un attachement mal compris à la tradition, on est en train de donner aux fidèles l'habitude de la méfiance et de la contestation. Ils ont été si souvent bernés que leur réflexe devient automatiquement négatif. Certains fidèles passent leur temps à "bougonner" contre les moindres changements, et pendant ce temps-là, ils ne prient pas. Est-ce que Dieu y trouve son compte? Ou n'est-ce pas plutôt Satan?
A ceux-là nous disons: Surmontez votre dégoût. Offrez-le au Seigneur et priez davantage. Ne vous cramponnez pas à vos petites habitudes, ne les canonisez pas indûment. Ne devenez pas des objecteurs de conscience. N'imitez pas Jonas sous son ricin. Ne cédez pas a la tentation de la Petite Eglise, ni à celle des petites chapelles. Puisque le Pape nous donne un nouvel Ordo, recevez-le avec respect, la ferveur et la joie viendront ensuite. Et que la Paix soit avec vous, la vraie, celle que le monde ne peut donner, et qui rayonne de tous ceux qui sont unis à Dieu au sein de la véritable Eglise.

Note 1.
Dans une lettre en date du 28 janvier 1970, accompagnant l'envoi de la note doctrinale, nous demandions au frère Thurian de nous écrire si, à son sens, quelque chose était changé dans la substance du sacrifice eucharistique. La réponse du 6 février nous apporta ce témoignage: " Je n'ai aucune difficulté à affirmer que dans le nouvel Ordo Missae, rien n'est changé concernant la doctrine catholique traditionnelle du Sacrifice eucharistique".
A Guy Baret, qui lui formulait son hypothèse selon laquelle la réforme de l'offertoire serait la cause de son approbation, le Pasteur Thurian répondit, également le 6 février: "L'hypothèse que vous formulez est tout-à-fait exacte."
D'autre part, dans "La Croix" du 21 janvier, le frère Roger Schutz, prieur de Taizé, s'exprime ainsi: "Pour ma part, j'ai la certitude que, dans le nouvel Ordo Missae, la substance de la Messe est la même que celle qui a toujours été vécue et priée auparavant ".

Note 2.
Il est superflu de souligner l'importance de la réponse du Cardinal Ottaviani, qui devrait à elle seule mettre fin à la contestation.
1) Elle est une approbation pleine et entière de la Note doctrinale : "Je vous félicite pour votre travail qui est remarquable pour son objectivité et la dignité de son expression... Je souhaite à votre note doctrinale et à l'activité de la Militia S. Mariae une large diffusion et succès".
2) Elle nous apprend que la polémique contre le nouvel Ordo a été déclenchée et alimentée par des provocateurs: "ceux qui se servent du trouble des âmes pour augmenter la confusion des esprits". Une autre lettre romaine, nous confirme, s'il en était besoin cette assertion.
3) La supplique au Saint-Père demandant l'abrogation du nouvel Ordo et le maintien de l'Ordo de St Pie V (3 septembre) a bien été signée par le Cardinal Ottaviani comme par le Cardinal Bacci. Mais, elle a été rendue publique le 15 octobre contre la volonté de son principal signataire. Cette manœuvre inqualifiable a permis aux provocateurs d'abuser du nom du Cardinal dans un sens que lui-même ne désirait pas: pour faire de lui, ce qui est un comble, le chef de la contestation anti-papale !
4) Le Cardinal estime que les discours du Saint-Père, surtout ceux du 19 et 26 novembre, constituent une mise au point doctrinale qui suffit à lever tous les doutes qui auraient pu naître quant à l'intention du Législateur ou à l'orthodoxie du nouvel Ordo.
5) Après ces discours, ceux qui se "scandaliseraient" du nouvel Ordo (au sens évangélique de "trébucher sur") ne seraient pas des gens sincères, mais des "pharisiens", comme nous écrit un autre prélat romain.
6) Le Cardinal reconnaît que le texte peut encore susciter quelques légitimes perplexités : une catéchèse prudente et intelligente suffira à les dissiper.
Le Cardinal ne parle plus d'abrogation du nouvel Ordo, ni de maintien de l'Ordo de St Pie V.
Après une pareille mise au point, il n'est plus permis d'utiliser la supplique du 3 septembre dans la contestation du nouvel Ordo; ou bien alors, il faut la mettre au compte du seul Cardinal Bacci, à supposer que ce dernier n'ait pas révisé sa position à la suite des discours pontificaux.

Note 3.
La sainte Liturgie, en effet, comme les autres décrets disciplinaires à caractère universel, et comme l'approbation des ordres religieux, est l'objet indirect du magistère infaillible: "Ecclesia est infaillibilis in decretis disciplinaribus et in approbatione Ordinum religiosorum": thèse theologice certa. Cela ne veut pas dire que les liturgies, les décrets ou les constitutions des ordres approuvés soient les meilleurs possibles, ni qu'ils soient irréformables; mais simplement qu'ils ne peuvent jamais être en opposition avec la foi et les mœurs. Cf. D.T.C. art. Eglise, col. 2185-2186 ; art. Infaillibilité, col. 1706.
Voir aussi l'adage de Célestin Ier "Legem credendi lex statuat supplicandi" (Dentz. 139 — E. 2200).

Note 4.
La supplique que nous adressons au Saint-Père énumère un nombre considérable de points qui, surtout dans l'Institutio Generalis, mériteraient, à notre sens d'être rédigés avec un plus grand souci de précision doctrinale. Dans une époque "normale", en effet, certaines interprétations dans un sens libéral ou moderniste ne viendraient à l'esprit de personne. Mais nous ne sommes pas dans une époque normale...
Aussi bien, la Déclaration de la Congrégation du Culte divin en date du 18 novembre (voir Doc. Cath. du 1er mars 70) indique clairement que des modifications pourront être suggérées en vue de l'édition type... si l'on peut trouver des expressions plus claires permettant une meilleure compréhension pastorale et catéchétique, ainsi qu'une plus grande perfection des rubriques, le Siège apostolique veillera à ce qu'il en soit ainsi" .



27/06/2022
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