Nature et grâce
La personne humaine ressemble à un Eisberg. Ces montagnes de glace ont les neuf dixièmes de leur masse sous la surface des océans : ils dérivent au gré des courants jusqu’aux mers chaudes où elles fondent. De même l’homme est immergé dans des conditionnements physiques, mais aussi socio-culturels. Dans sa culture grecque, St Paul voit dans le corps ce poids qui nous fait dériver, et dans l’âme un principe de liberté. Dans notre comparaison, l’âme est la partie émergée de l’Eisberg : celle-ci reçoit l’influence du vent et celle-là l’influence de l’Esprit Saint. Et Saint Paul souligne l’opposition entre les deux : le lien entre nature et grâce comporte quelque chose d’analogue.
Qu’est donc l’âme ? Il n’est pas interdit d’en parler, ce n’est pas un gros mot, contrairement à ce que semblent croire les traducteurs liturgiques. L’âme existe, sinon à quoi serviraient psychologues et psychiatres ? Ce n’est pas parce que les Hébreux ignoraient pratiquement l’âme que nous devons les suivre : la Révélation se développe pendant que le peuple de Dieu chemine à travers les civilisations jusqu’à la grecque inclusivement.
On trouve dans l’âme diverses facultés : intelligence, volonté, mémoire, toutes orientées à Dieu : l’intelligence pour Le connaître, la volonté pour L’aimer – car l’amour est volontaire, il faut s’en souvenir ; et le cœur est ce lieu de l’âme où les trois facultés travaillent ensemble pour progresser dans l’union à Dieu.
La personne, corps et âme, reçoit la grâce. Et le corps y a sa part. Souvenons-nous par exemple des dispositions providentielles qui ont permis à Saint Jean-Paul II de recevoir des soins appropriés immédiatement après son attentat.
L’âme reçoit la grâce sanctifiante. Ici définissons les termes. Naturel a probablement la même étymologie que natif – un être naturel est tel que sorti des mains du Créateur (nous devrions parler d’écologie en termes de respect de la création). La grâce, c’est la bonté de Dieu en tant qu’elle est tournée vers nous. Quand les missionnaires ont dû prêcher en swahili, ils avaient toute une théologie de la grâce et ils ont utilisé simplement le mot uema, la bonté (U est le préfixe des mots abstraits : le dictateur Julius Nyerere avait son livre vert comme Mao son livre rouge et il nommait son idéologie ujamaa, familité.
Cette bonté rayonne comme le soleil, en toutes directions et en permanence, mais il y a des canaux de la grâce. Ce sont d’abord la lecture de la Bible et l’oraison, mais surtout les sacrements, qui produisent la grâce ; si l’on s’en était souvenu, on n’aurait pas décalé la confirmation de l’enfance vers l’adolescence !
Il faut distinguer la grâce, ordonnée à la sanctification personnelle, et charisme ordonné au bien de l’Eglise. Si l’on sombre dans le « charismatisme » on a tendance à confondre les deux.
L’ordre naturel est ordonné à l’ordre surnaturel, comme les facultés de l’âme sont orientées à Dieu. Il faut s’en souvenir dans l’exposé et l’application de la doctrine sociale de l’Eglise (comme la morale elle est au service du bonheur et donc de l’amour.) Les encycliques sociales sont adressées « à tout homme de bonne volonté », c’est pourquoi elles ont une logique naturelle ; mais nous devons les lire avec un regard théologique : au commencement Dieu crée la famille, non la société.
La grâce vient donc perfectionner la nature et ne l’annule pas. Ainsi la démonstration de l’existence de Dieu peut se faire avec la raison naturelle mais en raison du péché elle ne se fait pas sans la grâce.
Ces considérations nous amènent à voir les rapports entre providence et liberté : comment sommes-nous libres si Dieu sait tout par avance, y compris nos décisions futures ? C’est comme un homme sur une montagne, qui voit une route serpenter sous lui : il sait où le conducteur va tourner mais celui-ci manie librement son volant. Dieu n’est pas au même niveau que nous.
Recherchons donc la grâce (en particulier demandons la confirmation si nous ne l’avons pas reçue, pratiquons les sacrements, spécialement recevons l’absolution) et laissons-nous guider dans l’oraison.
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