LUMEN ORIENTALE : Les orthodoxes et l'écriture cyrillique
Voici deux textes rédigés en 2002 pour le bulletin de l’aumônerie catholique du détachement air de Manas, au Kirghizistan.
Qui sont les orthodoxes ?
Tout au long du premier millénaire, il y avait eu des dissensions entre les chrétiens d’Orient et ceux d’Occident. Les Orientaux parlaient grec et avaient les premiers accueilli l’évangile, puisqu’ils étaient plus proches du lieu d’origine du christianisme. Leur théologie s’était développée plus tôt - et de toute façon les Grecs étaient plus cultivés que les Romains, qui en faisaient comme un complexe.
Il y avait de grandes différences culturelles qui faisaient qu’on se demandait parfois si les usages des uns ou des autres étaient bien conformes à l’évangile. Mais tous adhéraient à la grande déclaration des conciles de Nicée et de Constantinople (au IVème siècle), qui est le " Je crois en un seul Dieu " qu’on récite encore à la messe le dimanche.
Les difficultés se résorbaient en général bien. On s’était mis d’accord pour la date de Pâques (la controverse a quand même duré des siècles, mais sans aboutir à une cassure). Les Orientaux avaient même accepté la fête de Noël, dont l’idée était née en Occident. On savait que le Pape, successeur de l’Apôtre Pierre, était le supérieur de tous les chrétiens.
La rupture est venue en 1053. Le patriarche de Constantinople, successeur de l’Apôtre Saint André, supportait mal l’autorité du Pape. Après tout, Rome n’était plus qu’une petite bourgade, et n’avait plus d’empereur, tandis que Constantinople restait la capitale d’un empire assez vaste.
Aux questions culturelles et politiques se sont rajouté des questions doctrinales. Les explications des Latins et celles des Grecs différaient sur un point de détail dans la théologie trinitaire, c’est à dire celle qui tente d’expliquer les relations entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit. En Occident, on disait que celui-ci " procède ", c’est à dire vient, du Père et du Fils. Avec l’accord du Pape, on avait rajouté l’expression " et du Fils " dans le " Je crois en un seul Dieu ".
Le Patriarche et le Pape s’excommunièrent mutuellement, c’est à dire déclarèrent chacun que l’autre n’était plus en union avec Dieu. Il y avait eu des crises plus graves, mais celle-là n’est toujours pas surmontée. Il y a eu des tentatives de réconciliation, mais aucune n’a abouti. (1)
Il faut dire aussi que la séparation a eu un aspect militaire. Etablis en Sicile, les Normands attaquèrent la Grèce dés la fin du XIème siècle. Mais peu après l’empereur appela les Occidentaux à l’aide quand les Turcs lui eurent pris le pays qui porte aujourd’hui leur nom : la réponse de l’Occident fut les croisades. Mais si les croisés rendirent aux Grecs la Turquie, ils gardèrent Antioche, que les Turcs n’avaient pris que trente ans avant, et se déclarèrent indépendants des Grecs pour tout le royaume de Jérusalem.
En 1204, un empereur chassé par une révolution vint chercher les membres de la IVème croisade sur la côte Dalmate. Ils accoururent, remirent l’empereur sur son trône mais celui-ci fut incapable de leur payer ce qu’il leur avait promis. Ils confisquèrent son empire et s’y installèrent pour quelques générations. Les Grecs reprirent peu à peu la maîtrise de leur territoire mais Constantinople fut conquise par les Turcs en 1453, ce qui a rendu encore plus forte la coupure culturelle entre les deux communautés chrétiennes.
Constantinople se considérait comme la seconde Rome. Moscou se considéra comme la troisième. Mais les Russes orthodoxes eurent à souffrir des chevaliers teutoniques comme les Grecs des croisés. La méfiance subsiste des siècles plus tard.
En bref, les orthodoxes ont la même religion que les catholiques, à deux différences près : la soumission au Pape, et un détail de dogme au sujet du Saint-Esprit. Les différences culturelles ne devraient plus jouer un grand rôle, puisqu’il existe dans l’Eglise catholique des communautés qui jouissent des formes de prières orientales (par exemple arménienne, syrienne, égyptienne, ukrainienne ...)
La méfiance elle-même devrait s’estomper peu à peu. L’aide des catholiques à la restauration de l’Eglise orthodoxe russe depuis 1990 en est un gage. Et de toute façon, les excommunications de 1053 ont été supprimées dans les années 1960.
(1) (Ajouté pour l'insertion de ce texte dans Pageliasse IV) Il faut quand même mentionner qu'au concile de Florence une importante délégation orientale, avec à sa tête le patriarche et l'empereur de Constantinople, a accepté de signer un texte de réconciliation au sujet de l'expression "et du Fils". Mais un archevêque, dès le concile, s'y est opposé, et de retour chez eux les délégués ont souvent été empêchés de faire passer la réconciliation dans les faits : elle fut refusée notamment par les Russes malgré l'avis du métropolite de Kiev. A Constantinople elle fut proclamée en 1452, mais l'année suivante, lorsque la ville tomba aux mains des Turcs, la population fut asservie et le clergé déporté en grande partie ; il s'ensuivit une période d'anarchie, les prétendants au patriarchat versant de fortes sommes pour être reconnus par le Sultan, et c'est ainsi que le bénéfice de la réconciliation fut perdu. Toutefois plusieurs communautés orientales indépendantes du patriache de Constantinople se rattachèrent à Rome à la suite de l'accord conciliaire.
D’où vient l’écriture cyrillique ?
Saints Cyrille et Méthode.
Au neuvième siècle, deux frères grecs originaire de Thessalonique, en Macédoine au bord de la mer Egée, décidèrent d’aller évangéliser les Slaves. Ils s’appelaient Cyrille et Méthode. (2)
Ils commencèrent en Hongrie et traduisirent la Bible et les livres de prières dans la langue du pays. Comme elle était différente du latin et du grec, ils mirent au point un alphabet spécial, qu’on a appelé ensuite " cyrillique ".
Seulement la Hongrie relevait à ce moment de l’empire carolingien. Et pour favoriser l’unité de son empire, Charlemagne s’était opposé à ce qu’on dise la messe autrement qu’en latin, comme on l’avait fait jusque-là en Occident.
Le clergé latin (en fait germanique) de Hongrie vit donc d’un mauvais œil la tentative de Cyrille et Méthode, qui venaient d’ailleurs de l’empire d’Orient et relevaient du patriarche de Constantinople.
Les deux frères vinrent donc à Rome, où le Pape leur fit un excellent accueil et les encouragea. Ils furent ordonnés évêques. Mais Saint Cyrille mourut alors et le Pape lui fit faire des funérailles grandioses.
Saint Méthode repartit donc seul vers le Nord, puis, pour éviter les complications, s’installa avec ses disciples Slaves plus à l’Est. C’est ainsi que l’alphabet des deux frères se répandit vers l’Ukraine et la Russie, et de là vers l’Asie du Nord et du centre, où il est toujours utilisé.
Au début des années 1960, le Pape Paul VI, voulant se rapprocher des chrétiens d’Orient, donna aux orthodoxes de Thessalonique une relique de Saint Cyrille. En son honneur, les Grecs ont construit une église qui porte son nom.
Dans les années 1980, le Pape Jean-Paul II proclama Saints Cyrille et Méthode patrons de l’Europe, titre qu’ils partagent avec Saint Benoît, patriarche des moines d’Occident.
(2) (Ajouté pour l'insertion de ce texte dans Pageliasse IV) Ils venaient à l'invitation du roi de Grande-Moravie. En se christianisant, la noblesse de ce royaume s'était liée à la noblesse franque de Bavière, d'où les difficultés avec le clergé carolingien.
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