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Lettre sur l'Eglise et sur la théologie

Juste quelques notes, pour le cas où elles serviraient à d'autres qu'à leur premier destinataire...

 

            Cher Frère,

 

                        Je ne connais pas votre nom, mais j’ai bon espoir que cette lettre vous parviendra par nos relations communes. Car je vous écris en pensant que cela peut être utile à votre quête spirituelle.

 

                        Je vous ai choqué en disant que la frontière de l’Église passe à l’intérieur du cœur de chaque fidèle. Vous m’avez dit, de façon plutôt agressive, il faut bien le dire : « Alors pour vous, on peut avoir un pied dans l’Église et un au dehors ? »

 

                        Ainsi je vous parle de cœur et vous me parlez de pieds… Je vous parle de réalités spirituelles, le cœur des fidèles et l’Église, et vous me critiquez en utilisant des catégories faites pour parler des réalités matérielles. Vous me faites penser à Nicodème : quand Jésus lui dit qu’il faut renaître, il demande s’il faut rentrer dans le ventre de sa mère… Or une telle attitude est dangereuse, elle a empêché les Juifs de comprendre l’annonce de l’Eucharistie, au point que Jésus a dû leur dire : « C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. » (Jn 6, 63)

 

                        Avant de répondre sur le fond, je dois vous rappeler qu’avant de critiquer ce que j’avais dit, vous m’avez demandé, déjà de façon agressive, où j’avais fait mon catéchisme. Ainsi vous avez insinué que ce que vous pensiez être des erreurs chez moi relevaient du simple niveau du catéchisme. C’était malpoli et bête.

 

                        Malpoli, car s’il est bien sûr légitime de poser des questions et d’exposer des objections, on doit respecter son interlocuteur, surtout si c’est un prêtre qui, sans obligation aucune, a accepté de rendre service à votre groupe en venant trois jours dire la messe : cela, préparations et voyages compris, m’a coûté une quinzaine d’heures sans que je demande rien en retour. J’avais été très favorablement impressionné par l’accueil de vos responsables, qui m’avaient laissé une totale liberté pour les choix à faire concernant les messes ; mais votre attitude a quelque peu altéré ces sentiments.

 

                        Et puis, sauf le respect que je vous dois, c’était bête. Car l’idée que vous avez critiquée n’est pas de moi, mais du Cardinal Journet. Et pardonnez-moi de vous le dire, son niveau en catéchisme est assez sensiblement supérieur au vôtre. De plus, l’ayant un peu approché, j’ai la conviction d’avoir rencontré en lui un saint.

 

                        Mais, dira-t-on, ce théologien n’avait-il pas été contaminé ? La question est légitime, pour qui ne l’a ni lu ni fréquenté, tant il est vrai qu’un grand nombre de théologiens ont été gagnés au progressisme, avec son cortège d’idées modernistes. D’une part je peux vous rassurer, d’autre part vous mettre en garde.

 

                        Rassurez-vous, donc, il n’y a pas la moindre ombre de progressisme dans la doctrine du Cardinal Journet. Il a toujours eu le souci de ne s’éloigner en rien de la doctrine traditionnelle tout en cherchant à l’expliciter. Son attitude était parfaitement ecclésiale, et c’est pourquoi il a si bien parlé de l’Église.

 

                        Mais restez sur vos gardes, car beaucoup se sont trompés en considérant comme progressistes des idées qu’ils ne comprenaient pas en raison de leur rationalisme. L’histoire nous montre qu’à partir de Malebranche le rationalisme cartésien est entré dans la théologie catholique au point qu’au début du dix-neuvième siècle tous en étaient imprégnés. Léon XIII avait vu le problème et c’est ce qui l’a conduit à soutenir le mouvement qui se faisait jour alors, de la nécessité d’un retour à l’enseignement de Saint Thomas d’Aquin. Mais ce retour ne s’est pas fait du jour au lendemain. Les mentalités étaient tellement déformées qu’il a fallu les soigner pendant longtemps. On raconte qu’Étienne Gilson, ayant donné six éditions de son livre « Le Thomisme, introduction à la philosophie de Saint Thomas d’Aquin », a dit que la première édition était un monument que l’auteur avait érigé à sa propre ignorance. Sans doute était-il trop modeste, mais cette humilité témoigne de la difficulté qu’on a eue à comprendre Saint Thomas. Or le thomisme du Cardinal Journet était un thomisme mûr.

 

                        L’un des points qui a fait le plus difficulté fut la doctrine de l’analogie, et ce n’est pas sans intérêt pour notre propos, puisque l’Église est une réalité dont on ne peut parler que par analogie. Vous le savez bien, l’Église est l’ensemble, ou la communauté, de ceux qui adhèrent au Christ. Or il y a de multiples façons, plus ou moins parfaites, d’adhérer à Jésus, et donc selon le degré de perfection de la façon qu’a chaque fidèle, on doit bien concéder qu’il fait partie plus ou moins parfaitement à l’Église.

 

                        Il faut savoir que beaucoup de traditionalistes sont en dépendance du thomisme enseigné à la grégorienne dans les années 1930. Or de nombreux observateurs signalent que ce thomisme-là n’était pas encore mûr, et qu’on n’y maîtrisait pas la doctrine de l’analogie. On était encore quelque peu marqué par le rationalisme.

 

                        Vous le savez sans doute, le rationalisme consiste à ne considérer comme rationnel que ce qui se conçoit selon les méthodes des mathématiques – je le dis en simplifiant, bien sûr. Mais c’était en tout cas le projet de Descartes. Or les mathématiques ne servent à réfléchir qu’à ce qui se mesure avec des nombres, en sorte que si l’on ne connaît pas d’autre type de raisonnement on ne peut raisonner que sur ce qui se mesure avec des nombres : cela exclut les émotions, les sentiments, les valeurs, les devoirs, les symboles et tout ce qui a trait à l’esprit, bref tout ce qui fait la joie de vivre.

 

                        Puisque seul un aspect de la matière est mesurable avec des nombres, le propre du rationalisme est d’être un matérialisme très primaire. Et je crains que vous ne soyez quelque peu dans cette perspective, puisque comme je vous le faisais remarquer vous avez voulu rendre compte de réalités spirituelles avec des catégories applicables à des réalités matérielles.

 

                        Il est temps de vous répondre sur le fond. Puisque vous aimez le catéchisme et les comparaisons matérielles, je vais tâcher de vous satisfaire. Vous savez que l’Écriture parle de Dieu comme d’un feu dévorant (Dt 4, 24 . He 12, 29). Alors imaginez deux objets identiques, placés près d’un feu mais l’un tout proche et l’autre bien éloigné de ce feu : celui-ci sera froid, celui-là chaud. Il en va de même des fidèles, dans leur rapport au Christ : les plus proches sont brûlants de son amour et son comme au cœur de l’Église, les autres sont des tièdes, et vous savez ce que Jésus dit d’eux. Maintenant imaginez non plus deux objets, mais un seul, qui serait tout en longueur, comme une barre de fer, avec une extrémité proche du feu, et l’autre éloignée : celle-ci sera froide, celle-là sera chaude. C’est à cela qu’on peut comparer notre cœur : notre désir est de le tenir dans le Christ, mais dans la réalité nous avons bien du mal à y parvenir ; et c’est ce que constatait en lui-même Saint Paul, qui disait : « Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas. » (Rm 7,19) Comment nier que notre cœur est partagé ?

 

                        Maintenant direz-vous que la part de votre cœur – ou de vous-même – qui fait le mal est unie au Christ et que par conséquent elle fait partie de l’Église ? Personnellement je me vois dans l’impossibilité de dire une telle chose. Vraiment l’Église est sainte, et si l’on dit que la part de nous-même qui pèche est dans l’Église, on est en contradiction avec le Credo.

 

                        Bien sûr, je parle ici dans le registre spirituel. Evidemment on va nous répondre au plan sociologique, matériel : si un fidèle catholique pèche, on va nous dire que c’est l’Église qui pèche. Mais même à ce niveau il faut faire remarquer que si un fidèle pèche, c’est en contradiction avec l’enseignement de l’Église, et par conséquent on peut reprocher à l’Église non les actes des pécheurs, seulement son incapacité à faire respecter ses commandements. Mais dans ce cas, on ne doit pas reprocher à l’Église d’être trop autoritaire !

 

                        Bref, vous le voyez, il n’y a pas de quoi se scandaliser devant cette doctrine du Cardinal Journet : vraiment les frontières de l’Église passent à l’intérieur du cœur de chaque fidèle. Ce n’est pas l’Église qui pèche quant vous ou moi nous péchons.

 

                        Espérant vous avoir été utile, je vous dis ma respectueuse admiration pour le choix que vous avez fait de suivre les conseils évangéliques. C’est une excellente façon de se rapprocher du Cœur de Jésus et d’appartenir davantage à l’Église .

 

 

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29/08/2022
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