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Le sacerdoce en France après Vatican II

Le concile Vatican II fut un évènement considérable : les trois mille évêques venus du monde entier, réunis dans la basilique Saint Pierre à Rome, ont délibéré durant plusieurs sessions étalées sur quelques années. Dans l’Eglise, plus rien ne sera comme avant.
Parmi les précisions doctrinales, les changements disciplinaires et les orientations pastorales de ce concile, un bon nombre concerne le sacerdoce. Le but de l’exposé qu’on va lire est d’examiner de façon non exhaustive comment ces mutations ont été vécues dans l’espace ecclésial français. Certaines caractéristiques relevées ici n’ont pas leur origine dans le récent concile, mais les bouleversements postconciliaires leur ont donné une importance qu’elles n’auraient pas eue autrement.
On se souviendra qu’il s’agit ci-après de mettre en évidence des tendances, non de décrire des réalités qui se seraient reproduites toujours et partout à l’identique. Beaucoup de prêtres ne retrouveront pas ce qu’ils ont vécu ou ressenti dans ce qui suit. Pourtant cela n’empêche pas les tendances exposées d’exister ; et les mettre à jour permettra, espérons-le, de mieux les assumer, voire de corriger ce qui doit l’être.
Nos premières réflexions iront à l’épiscopat, car Vatican II a introduit là des précisions nouvelles sur les rapports entre le sacerdoce de l’évêque et celui du prêtre, et une pratique particulière, celle des conférences épiscopales (I. Un épiscopat hypertrophié. II. Un épiscopat atrophié.) Ensuite il sera question du rapport du prêtre avec le Christ dans les sacrements (III. Un clergé éloigné de l’Eucharistie.), puis de sa situation institutionnelle dans l’Eglise (IV. Un clergé souffrant d’instabilité. V. Fonctionnalisation et fonctionnarisation du sacerdoce. VI. La montée en puissance du diaconat et du laïcat.) et enfin de ses rapports avec le monde (VII. Un clergé relativiste. VIII. Un clergé désabusé.) Avant de conclure, on évoquera des tendances plus récentes, encore minoritaires, mais dont on peut penser – et souhaiter – qu’elles prennent de plus en plus de force afin que le concile soit enfin compris, appliqué et vécu selon l’herméneutique de la continuité (IX. Un clergé en profond renouvèlement).

I. Un épiscopat hypertrophié
A-t-on bien compris les affirmations du concile Vatican II sur le rapport entre le prêtre et l’évêque ? Il est dit que le sacerdoce du simple prêtre est une participation au sacerdoce de l’évêque, qui seul a la plénitude du sacerdoce, et que le simple prêtre est un collaborateur de l’évêque. Nous sommes bien d’accord, mais il faut s’entendre sur les termes et leur portée, doctrinale et pratique. Il faut se souvenir en effet que ce concile a été construit par des évêques, à la différence des précédents qui obéissaient à la logique d’un conseil construit en fonction des besoins de la réflexion du Pape par rapport aux questions agitant l’Eglise. Et les Pères conciliaires, s’ils ont ainsi fait progresser la théologie du sacrement de l’ordre, n’ont sans doute pas eu de celui-ci la vision globale qu’aurait eue un concile strictement préparé selon les directives du Saint Père.
Et tout d’abord qu’entend-on par « plénitude du sacerdoce » ? L’unique sacerdoce est celui du Christ et par conséquent le sacerdoce n’est répandu parmi les hommes que comme une participation à l’unique sacerdoce du Christ. Le sacerdoce de l’évêque est lui-même une participation au sacerdoce plénier du Christ, et s’il est vrai que le sacerdoce du simple prêtre est une participation au sacerdoce de l’évêque, c’est pour être lui aussi une participation au sacerdoce du Christ. Le sacerdoce du simple prêtre a donc en lui-même quelque chose de plénier parce qu’il est une participation au sacerdoce du Christ : il doit être vécu comme une plénitude, comme un mode d’union intime à Jésus seul souverain prêtre ; aussi serait-il probablement plus adapté de parler de « surabondance du sacerdoce » à propos de l’évêque plutôt que de plénitude. Car l’idée que le sacerdoce du simple prêtre n’est pas plénier a sans doute joué un rôle non négligeable dans la crise qu’a traversé le clergé ces dernières décennies, avec notamment des interrogations sur « l’identité » du prêtre.
D’autre part, si l’affirmation du caractère plénier du sacerdoce de l’évêque a eu des conséquences négatives sur le simple prêtre, il en a eu aussi sur les rapports des évêques avec le Pape. Le sacerdoce n’est plénier que dans le Christ, Tête de l’Eglise, et donc dans la totalité de celle-ci. L’institution du souverain pontificat a pour but ; théologiquement, ontologiquement, de maintenir dans l’unité un sacerdoce qui perdrait sa plénitude en se dispersant.
Dans la pratique, le simple prêtre s’est souvent vu confiner dans un rôle d’exécutant. On lui a retiré assez rapidement après le concile un bon nombre de ses prérogatives. On peut dire à un prêtre : « vous êtes nommé à tel endroit » (plutôt que vous êtes curé de cet endroit), « mais vous n’y ferez pas la préparation au mariage, parce qu’il y a là un diacre marié qui connaît forcément mieux la question que vous, et pour la catéchèse, vous serez le collaborateur de Madame unetelle, catéchiste major, qui a reçu une lettre de mission de l’évêque vu qu’elle a lu deux brochures et suivi trois sessions de quinze jours… »
Un moyen de pression qui a permis d’aller très vite en besogne dans cette restriction du ministère des prêtres a été l’abolition de l’inamovibilité des curés : celui qui manifesterait trop de fermeté serait vite démis… Mais nous y reviendrons.
Or une circonstance aggrave considérablement cette diminution de l’autonomie des curés, et c’est précisément l’autonomie prise par certains évêques vis-à-vis du Pape. En effet puisqu’ils ont la plénitude du sacerdoce, pourquoi ne prendraient-ils pas leurs distances par rapport aux normes romaines ? Et pourquoi limiteraient-ils leur autonomie au domaine disciplinaire ? Ne convient-il pas de « faire avancer » l’Eglise par des initiatives concrètes ? Le domaine où tout cela est le plus visible est celui des liturgies infectes qui détruisent l’Eglise : absolutions collectives, homélies de pasteurs protestants durant la messe, cérémonies de bénédiction d’unions illégitimes, etc.
L’affirmation que le prêtre est le collaborateur de l’évêque ne soit donc pas être comprise dans un seul sens. Le simple prêtre n’est pas un exécutant passif des normes édictées en plus haut lieu. Il collabore à l’élaboration de ces normes. Or cette participation au gouvernement du diocèse est bien souvent confisquée par un petit groupe, qui va parfois jusqu’à s’autoproclamer « équipe épiscopale » et, se regardant comme une élite éclairée, a peu d’estime pour les autres membres du presbyterium. Rappelons donc ici que le conseil épiscopal est facultatif, tandis que le conseil presbytéral est obligatoire : c’est là le lieu normal de cette collaboration entre l’évêque et les prêtres. Encore faut-il que ce conseil ait des statuts tels qu’il donne à toutes les tendances d’un presbyterium de pouvoir s’y exprimer : si les élections ne fournissent pas un conseil représentatif de toutes les sensibilités, il revient à l’évêque, s’il veut gouverner efficacement, d’y nommer des membres qui le complètent harmonieusement. 

II. Un épiscopat atrophié
Mais cet épiscopat imbu de ses prérogatives par rapport au Souverain Pontife et par rapport aux simples prêtres est en fait d’une faiblesse consternante. L’autorité surnaturelle de l’évêque est rognée de l’intérieur par les membres de son conseil et ceux qui gravitent autour, et de l’extérieur par la conférence épiscopale et son cortège d’institutions édictant des avis relayés dans les diocèses par toutes sortes de courroies de transmission.
Le poids sociologique de ces institutions est d’autant plus grand que les évêques, à la suite d’un concile qui ne se voulait pas doctrinal, mais pastoral, ont voulu être davantage pasteurs que docteurs. Pourquoi donc a-t-on voulu opposer les deux ? Un pasteur sans doctrine n’est-il pas un aveugle guidant les autres ? Un docteur sans sens pastoral pourra-t-il élaborer une pensée utile dans la pratique ? Il faut qu’un évêque soit à la foi pasteur et docteur, tout comme il faut qu’un simple prêtre vérifie toujours sa pastorale selon la doctrine de l’Eglise. Autrement le résultat est affligeant : on est ballotté au gré des modes, et l’on a pu dire de ce type des pasteurs « qu’ils ont la pastorale de leur théologie et la théologie de leur psychologie ». Ajoutons qu’en fait ils s’efforcent de conformer leur psychologie au prêt à penser ambiant, aux dogmes pastoraux, à l’ecclésiastiquement correct.
Ne nions pas l’utilité, et même le rôle indispensable, des conférences des évêques. Ce n’est pas pour rien que le code de droit canon de 1983 leur accorde tant d’attention. Dans le type de société où nous vivons elles sont indispensables. Les évêques se connaissent mieux à présent, et peuvent se manifester leur soutien dans les épreuves, qui ne manquent pas. Ils peuvent se concerter, élaborer des réponses communes aux questions qui se posent à tous, etc.
Cependant il eût fallu qu’on envisage le fonctionnement de la conférence des évêques selon les critères de la théologie, fournis dans la tradition ecclésiale. Or on a voulu, du moins au début et cela laisse des traces, décalquer les institutions du monde et la logique qui les sous-tend. Même si cet inconvénient a été beaucoup corrigé depuis, dans la période de rodage la conférence épiscopale a été regardée comme une sorte de parlement chargé de légiférer. Mais c’est méconnaître la réalité ecclésiale : l’évêque est maître dans son diocèse, seul le Pape lui est supérieur, et non une assemblée particulière. Même dans les domaines où le code de droit canon lui reconnaît une compétence, les décisions de la conférence n’ont force de loi que si elles sont prises à une majorité qualifiée et seulement après leur ratification par l’autorité romaine. Une conférence épiscopale peut donc être regardée comme un organisme chargé de conseiller le Pape, sans rien enlever à sa responsabilité.
De plus, bien souvent les élites ecclésiastiques sont à l’image des élites du pays. Entre autres elles sont hégéliennes. C'est-à-dire qu’ils pensent entre autres que le réel est le tout (« Das Wahre ist das Ganze », disait Hegel). Et que ce tout est en perpétuelle évolution. Donc beaucoup pensent que c’est la totalité du corps épiscopal qui est dépositaire de l’autorité, et que celle-ci est au service d’une évolution du monde en progrès quasi constant. Ainsi il faut suivre l’évolution de la société et en faire passer les grands traits dans l’Eglise.
Dans la pratique, le fonctionnement de la conférence a souvent été tel qu’il a enchaîné les évêques à ceux d’entre eux qui étaient les mieux vus des médias. Rappelons-nous le terrible exemple de la prise de position au sujet d’Humanae Vitae. Un archevêque raconta à peu près ceci à des moines qui l’interrogeaient à ce propos : « On était fatigué par la session, il faisait chaud, on nous a dit qu’il fallait voter ce texte et c’est le lendemain que nous avons appris par les journaux que nous avions contredit le Pape. » Or ce n’était pas sur un point de détail que se faisait la contradiction : c’était sur la question du moindre mal. Paul VI avait compris qu’on ne pouvait invoquer cet argument pour utiliser la pilule, tandis que l’épiscopat français disait qu’on le pouvait. Dans la pratique, cela vidait de toute sa substance l’enseignement de l’encyclique : de nombreux fidèles, abusés par l’épiscopat, ont commencé à se sentir dans des cas où le recours à la pilule était un moindre mal, ont ainsi détruit leur couple, voire ont eu ensuite recours à des procédés abortifs. (Ajout du 06/03/2010 : on peut consulter ce témoignage-ci.)
Croyez-vous qu’il se serait trouvé un évêque pour protester publiquement contre ce scandale public ? En tout cas il eût été facile d’exiger du président de la conférence qu’il déclare par exemple qu’il s’agissait en fait d’un document de travail à réécrire en concertation. Mais rien ne fut fait. Et les pasteurs ont abandonné leur troupeau aux loups. Cela mérite sans doute une repentance…
Bien sûr nous parlons là des débuts de l’institution. Certaines tendances lourdes ont été corrigées. Mais l’état d’esprit subsiste en grande partie. Et les commissions de la conférence sont relayées par des organismes diocésains qui se sentent, dans leur domaine, davantage liés par les directives parisiennes que par les orientations de leur évêque… ou par les normes romaines !
Et si l’on se souvient que le suivi du travail de ces commissions est assuré par des gens qui ne sont pas évêques, car ceux-ci, pris dans l’engrenage des nombreuses obligations qu’ils croient avoir au nom de la collégialité, sont écartelés entres tant d’instances qu’ils s’en remettent à d’autres pour la gestion courante des divers organismes auxquels ils participent. Finalement, l’Eglise dite de France est pour une part non négligeable dirigée par des gens qui ne sont pas évêques.
Un exemple frappant de cette atrophie de la fonction épiscopale est donné par les séminaires interdiocésains. Dans les années soixante, on a commencé à regrouper les séminaires : les séminaristes étaient si peu nombreux dans certains diocèses qu’on a cru bon de fermer les séminaires et d’envoyer les séminaristes dans des diocèses proches, afin que la communauté soit suffisamment nombreuse pour une bonne formation, et aussi pour utiliser dans d’autres ministères les prêtres dégagés de leur charge d’enseignement. Il y avait un danger : en éloignant les séminaires, on ne mettait plus sous les yeux des jeunes gens l’exemple de leurs aînés qui se préparaient au sacerdoce ; mais enfin, c’était souvent un moindre mal. Mais la machine s’est emballée quand on en a fait un système : pratiquement tous les séminaires diocésains ont disparu au profit de structures interdiocésaines.
Au passage, dans ces regroupements, on a conservé seulement les éléments les plus novateurs du corps professoral : tous ceux qui avaient une sensibilité conservatrice, ou classique, ou a fortiori traditionnelle ont été éloignés. Cependant la situation des nouvelles structures était loin d’être claire. En effet, ou bien un séminaire relève d’un institut religieux, ou bien de l’évêque d’un diocèse, sinon ses statuts doivent être approuvés par les instances romaines compétentes ; or on s’est bien gardé de demander cette approbation lors de la création des séminaires diocésains français. La conséquence est qu’une large majorité des prêtres français formés depuis Vatican II a été formée hors de toute légalité canonique.
Surtout on ne sait plus très bien qui a autorité sur ces séminaires : le collectif des évêques qui y envoient leurs séminaristes ? Mais sont-ils en mesure d’exercer collégialement un contrôle ? Auprès de qui précisément le supérieur du séminaire doit-il prendre ses directives ? Devant quelle personne concrète doit-il rendre compte de sa gestion ? Le cas se complique quand l’équipe d’animation du séminaire relève d’un institut spécialisé, qui peut imposer ses vues aux évêques jusque pour les dates d’ordinations ! Et si en plus les cours ont lieu hors du séminaire, en université par exemple, le casse-tête est complet.
Ajoutons ce sentiment diffus dans une partie du clergé, que souvent les évêques ont perdu en contact avec leurs prêtres ce qu’ils ont gagné en cohésion entre eux. En effet, leur sentiment d’appartenance à un collège a fait perdre à certains le sens de leur présence à l’intérieur de leur propre presbyterium.

III. Un clergé éloigné de l’Eucharistie.
Au-delà de l’abandon presque partout du culte eucharistique en dehors de la messe, auquel on a assisté dans l’immédiat après-concile, deux nouveautés introduites après Vatican II ont conduit à un éloignement des prêtres par rapport à l’Eucharistie, en comparaison de la proximité des générations précédentes.
Il y a d’abord le fait que la messe est dite face au peuple. Car la messe a pris un aspect de spectacle. Dans les années 1970, on trouvait des sessions où l’on proposait aux prêtres de les filmer pendant qu’ils célébraient, afin qu’ils puissent, en se visionnant, imaginer l’effet qu’ils produisaient sur l’assemblée. Dans ce contexte, le prêtre est amené à refouler l’expression de ses sentiments de piété et il y a un risque de refouler les sentiments eux-mêmes avec leur expression. Le prêtre est souvent perçu davantage comme un acteur que comme un homme redisant la prière de Jésus.
Et il y a alors un autre risque : celui d’une privatisation de l’Eucharistie, devenu un spectacle livré à la subjectivité du célébrant et de la communauté qu’il a formée à son image. Certains de ceux qui sont devenus davantage acteurs que célébrants, ont adopté des techniques d’expression corporelle, etc. Une illustration en est fournie par l’attention portée à la place du missel. On considère qu’il n’est pas bon de tourner la tête sur le côté, et on place le missel au centre de l’autel, souvent devant la patène et le calice !
L’autre nouveauté issue des réformes postconciliaires et qui conduit à un éloignement de l’eucharistie est la concélébration. Bien qu’il n’y ait pas de raison théologique de la repousser absolument, son utilisation fréquente peut présenter des inconvénients graves.
En effet, ne faire qu’un seul acte avec le célébrant accroît l’exigence du refoulement de l’expression des sentiments personnels de piété. Mais surtout tendre la main vers l’hostie quand on prononce les paroles de la consécration est très différent de la tenir entre ses propres mains. A tout cela s’ajoute le plus grand risque de célébrer machinalement, sans le recueillement nécessaire. En outre, il arrive que des fidèles soient privés de messe parce que des prêtres concélèbrent.
Aussi faut-il rappeler que la volonté de ne faire qu’un seul acte avec le célébrant, volonté absolument requise pour la concélébration, implique qu’il est impossible de rendre celle-ci obligatoire. Même si la raison invoquée pour ne pas concélébrer n’est pas pertinente, la moindre réticence à concélébrer doit être absolument prise en compte et l’on doit éviter tout ce qui ressemblerait de près ou de loin à une contrainte.
Toutefois après ces réserves il faut redire la valeur propre de la concélébration, qui est de manifester l’unité du sacerdoce. Ainsi quand des fidèles ont beaucoup reçu de deux prêtres différents, ils aiment les voir unis dans l’acte où ils représentent le mieux le Christ. Mais alors l’observation des normes liturgiques doit manifester cette unité. Il est aberrant par exemple qu’on admette à concélébrer de prêtres qui n’ont pas revêtu d’habit liturgique : comment prétendre manifester l’unité du presbyterium quand on refuse d’y marquer son appartenance ?
Le célébrant doit là plus qu’en d’autres circonstances éviter toute subjectivité, la sienne ou celle de la communauté. D’autre part il doit assumer en totalité son rôle de président qui ramène à l’unité le sacerdoce réparti en chacun des concélébrants. Il doit être au centre de l’autel : c’est une fausse humilité qui conduit par exemple à ce qu’il se place en symétrie avec un concélébrant par rapport au centre de l’autel.
On le voit, cette manifestation de l’unité du sacerdoce exige de la part des prêtres, célébrant comme concélébrants, un grand dépouillement de soi-même qui peut leur être ensuite utile pour les autres célébrations de la messe. On devrait à l’avenir éviter toute incitation à la concélébration pour ceux qui y répugnent : on sera plus fort ainsi pour exiger la reconnaissance qu’il n’y a rien de mauvais dans la concélébration.
En cette année sacerdotale, laissons le dernier mot sur ce sujet à Saint Jean-Marie Vianney. Un jour il s’est arrêté pendant la messe, disant à Jésus qu’il tenait en ses mains « Si je savais que je devais vous perdre pour toujours, je ne vous lâcherais pas ». Cette manifestation de piété est inenvisageable dans une célébration face au peuple ou dans une concélébration.
Par ailleurs, le fait que la prière eucharistique soit dite à voix haute, dans la langue des autres usages quotidiens et face aux autres fidèles, a conduit très généralement à une perception fausse de ce qu’est cette prière et par voie de conséquence de ce qu’est le sacerdoce. Beaucoup en effet s’imaginent que les mots « prenez et mangez » s’adressent aux fidèles présents, alors qu’en les prononçant le prêtre ne fait que redire à Dieu le Père ce que son Fils a fait et qui explique qu’on le refasse. (Ajout du 06/03/2010 : voyez à ce sujet notre étude "liturgie pour les vocations".)
A cet éloignement de l’eucharistie il faut ajouter un éloignement du sacrement de réconciliation. En règle générale, le clergé français reçoit très peu de confessions. Des remarques analogues peuvent être faites à propos du sacrement des malades. Ne se considérant plus comme l’homme des sacrements, le prêtre se sent « animateur » - mais animateur de quoi au juste ?

IV. Un clergé souffrant d’instabilité.
Prenons l’exemple de la limite d’âge de 75 ans pour l’exercice de la charge du gouvernement d’un diocèse. On rapporte qu’un évêque ainsi libéré, retrouvant à la réunion de la conférence des évêques un de ses amis, lui a confié : « Maintenant je vais pouvoir prier ! » Cet aveu touchant, qui montre un excellent désir de prier toujours plus, montre cependant un des inconvénients du système : désormais il y a un ‘après’ dans la perspective du ministère. C’est dés maintenant que l’évêque doit s’organiser pour prier suffisamment ; surtout il faut qu’on puisse se dire qu’on jouira jusqu’à sa mort des conséquences, bonnes ou mauvaises, des décisions qu’on aura prises.
Les mutations fréquentes des évêques, système parfois appelé des « cathèdres tournantes », n’est donc pas profitable aux diocèses. On comprend que pour les grandes métropoles on choisisse des évêques ayant fait leurs preuves, mais autrement le risque est grand d’assister à une déresponsabilisation des responsables…
Il en va de même pour les mutations fréquentes des prêtres. On n’a plus à se soucier du long terme quand la loi diocésaine impose une limite de temps à la charge curiale. Aussi faut-il rappeler, spécialement aux adeptes inconditionnels des réformes postconciliaires, que selon le droit canon un curé doit être nommé « ad indefinitum tempus » - pour un temps non délimité. La pratique française, bien qu’elle s’appuie sur une décision de la conférence des évêques approuvée par Rome, est une exception qu’il faudra bien remettre en cause un jour, pas trop lointain, souhaitons-le.
Car outre l’inconvénient de l’instabilité, ce système a pour conséquence que plus personne ne peut sans risque dire ce qu’il pense. Or il est malsain pour un corps social, spécialement pour un presbyterium, qu’on ne puisse plus émettre des réserves sur le fonctionnement du groupe et son activité. Souvent des curés ayant manifesté leur indépendance d’esprit par rapport au ‘pastoralement correct’ ont été nommés vicaires, sans égard pour ce que les fidèles peuvent penser d’eux ensuite.
Face à tout cela, l’attitude normale consiste à se dire : « je m’efforce d’agir comme si j’allais en avoir les conséquences jusqu’à la fin de ma vie – et surtout dans l’éternité. » Il s’agit aussi, évidemment, de rester par ailleurs disponible pour le bien de l’Eglise ; mais celle-ci donne dans son droit des moyens aux prêtres pour résister à ce qui pourrait nuire à la sérénité nécessaire à leur ministère. Ces garanties ont été supprimées dans l’Eglise en France.

V. Fonctionnalisation et fonctionnarisation du sacerdoce
A notre époque soucieuse davantage du « comment » et du « pourquoi » que de l’être, on a tendance à définir le prêtre par rapport à sa fonction dans l’Eglise plutôt que par rapport au Christ. Il faut tenir les deux termes, pour une conception juste du sacerdoce : Jésus a institué ses Apôtres pour être avec Lui ET pour être ses envoyés. L’un ne va pas sans l’autre et l’ordre des termes est important : comment représenter efficacement quelqu’un qu’on n’aurait pas fréquenté ?
Un exemple de cette tendance est le choix du vocabulaire employé pour la cérémonie qui « fait » les évêques. Autrefois on parlait de « consécration épiscopale », aujourd’hui on dit « ordination épiscopale ». C'est-à-dire qu’on est passé d’une conception mettant en valeur ce qui se passe dans la personne à une conception qui voit avant tout ce pourquoi cela se passe. Encore une fois les deux conceptions sont justes, mais il faut être conscient de ce glissement pour tenir les deux termes.
De même lorsqu’on parle du simple prêtre, et qu’on souligne, comme nous l’avons vu, que son sacerdoce est une participation à celui de l’évêque. C’est juste, à condition de ne pas oublier que le sacerdoce du simple prêtre est avant tout, fondamentalement, une participation au sacerdoce du Christ. Ainsi apparaît que le prêtre en étant ordonné, est mis en rapport à un premier, essentiellement au Christ et en même temps à l’Eglise, en tant qu’elle ne fait qu’un avec le Christ.
On voit donc combien était juste l’expression populaire qui voyait des personnes consacrées tant dans les prêtres que dans les religieux. Au contraire, la conception du sacerdoce ordonné exclusivement à l’Eglise a rendu incompréhensible la spiritualité sacerdotale de l’Ecole Française, qui voyait un religieux en tout prêtre, de par son ordination. C’est sans doute l’une des raisons de l’abandon de l’habit ecclésiastique, de la contestation du célibat ecclésiastique, etc.
En outre la conception fonctionnelle du sacerdoce a conduit à vouloir des équipes de prêtres plutôt que des communautés. Ainsi on s’inquiétait à la Mission de France, à la fin des années quatre-vingt, de l’essoufflement du charisme au profit d’un retour à des formes de communautés plus proches du modèle canonial. Pour schématiser, disons que la vie en équipe, structurée uniquement en fonction du ministère, permet concrètement au curé de se cotiser avec l’argent de son vicaire pour s’abonner à « La Croix », mais pas au vicaire de se cotiser avec l’argent de son curé pour s’abonner à « La Nef ». Au contraire, la vie en communauté suppose l’adhésion à des valeurs communes, cultivées au cours de la formation initiales, et qui permettent de structurer les rapports entre les membres de la communauté selon un style de vie choisi selon d’autres critères que ceux de l’immédiateté.
Toute cette tendance à voir la fonctionnalité du sacerdoce entraîne de fait une fonctionnarisation : de plus en plus de prêtres résident hors de leur presbytère, ou ne disent ni messe ni bréviaire leur jour de congé hebdomadaire ou pendant leurs vacances.
Beaucoup du reste ne comprennent pas que pour satisfaire au devoir moral de dire la messe tous les jours, on puisse la dire en l’absence de fidèles. « Je ne vais pas dire la messe devant des chaises », dit celui-ci ; « Ce que tu fais n’a pas de sens », dit un vicaire épiscopal à un confrère qui célèbre quotidiennement, même s’il n’a pas la possibilité d’avoir des fidèles. Ici encore se manifeste qu’on n’a pas assumé toutes les conséquences du retournement des autels.
En définitive, la prière du prêtre n’est plus comprise comme une mise au profit de l’Eglise de cet état d’intimité avec le Christ où l’a mis son ordination.

VI. La montée en puissance du diaconat et du laïcat
Un élément important pour le changement dans la perception que le prêtre a de lui-même est l’attention portée depuis le concile au rôle des laïcs et à l’introduction du diaconat permanent.
Les « lettres de mission » données par des évêques à des laïcs isolés ou en groupe donnent à ces laïcs une indépendance par rapport à leur curé qui est souvent bien éloignée de ce qu’affirme la tradition canonique. Le curé n’est plus maître dans sa paroisse. Il peut très bien arriver, par exemple, que des catéchistes sans guère de formation liturgique – voire sans formation du tout – inventent de bout en bout pour les enfants catéchisés des liturgies dominicales dans lesquelles on a bien du mal à reconnaître une messe et prétendent imposer leur schéma au malheureux prêtre que l’autorité épiscopale a livré entre leurs mains.
De même, on voit fleurir l’expression « aumôniers laïcs » : c’est vrai en milieu hospitalier, c’est courant dans l’aumônerie militaire. Or il faut rappeler que dans le code de droit canon, le mot aumônier traduit ‘cappellanus’, terme qui désigne toujours un prêtre ; par conséquent en contexte canonique l’expression « aumônier laïc » est une contradiction dans les termes. Certes, on est bien obligé d’utiliser ces termes là où le manque de prêtres fait qu’on ne peut honorer d’une présence sacerdotale tous les postes proposés par l’Etat ; mais il importe que cela n’induise aucun glissement de sens dans les esprits. Quand par exemple on voit des laïcs, dans le diocèse aux armées, occuper des fonctions d’aumôniers régionaux, avec des prérogatives qui normalement sont celles d’un doyen, on peut se demander si ces personnes ne sont pas dans un cas d’usurpation de fonctions ecclésiastiques.
A un autre niveau, on voit de ces « aumôniers laïcs » inviter des prêtres à célébrer dans la chapelle liée à leur poste sans en avertir le prêtre modérateur de leur charge pastorale ! Il importe de définir les responsabilités du laïc et du modérateur en tenant compte du fait que celui-ci est « équiparé » à un curé et que celui-là est un paroissien qui collabore avec lui.
Des remarques analogues peuvent être faites à propos des diacres permanents. On doit notamment éviter tout discours qui, en voulant mettre en valeur l’expérience familiale et professionnelle des diacres, dévaloriserait par contrecoup le sacrifice de ceux qui sont totalement disponibles pour Dieu et son Eglise. Une conception harmonieuse des rôles complémentaires du prêtre et du diacre n’est pas encore répandue partout.
Ce qu’il importe de souligner ici, c’est qu’une responsabilité ultime est propre au prêtre : la reconnaissance de cette responsabilité est une condition fondamentale de toute pastorale des vocations.

VII. Un clergé relativiste
Il y avait eu à la fin du XIXème siècle le « ralliement », qui fit croire à certains que la loyauté à l’égard du pouvoir politique légitime, fût-il républicain, devait faire accepter les yeux fermés tout acte de ce pouvoir. Or la loyauté exige au contraire une grande vigilance quand ceux qui détiennent le pouvoir ne cherchent plus à se référer à la Révélation : car c’est un devoir pour les chrétiens de faire profiter la société où ils vivent de l’enseignement du Christ, dans toute la mesure où elle peut recevoir cette lumière. En bref, une mauvaise conception du « ralliement » a émoussé le sens critique d’un grand nombre dans l’Eglise.
Mais il y eut après Vatican II une fausse conception de « l’ouverture au monde ». Comme on l’a fait justement remarquer, il y a deux façons d’ouvrir une porte : pour sortir ou pour entrer. L’ouverture voulue par l’Eglise était du premier type : il fallait évangéliser un monde qui avait beaucoup changé en peu de temps, et qui semblait bien devoir continuer à le faire ; il convenait donc d’être attentif aux valeurs propres de nos contemporains et d’y repérer ce qui pouvait favoriser leur évangélisation, tout en discernant ce qui y faisait obstacle et en tâchant d’y remédier.
Or on adopta le plus souvent une ouverture du second type, et on voulut faire adopter par l’Eglise toutes les valeurs de nos contemporains sans y faire de discernement. Rappelons donc ici la différence entre le « bien » et la « valeur ». Le bien est en rapport avec la nature d’un être, il a quelque chose d’universel. La valeur a une connotation subjective : il s’agit de ce qui est considéré comme un bien par une personne ou un groupe donné. Or il peut arriver que des valeurs soient des biens véritables, quand il s’agit par exemple de vertus bien mises en valeur chez une personne ou un groupe ; il peut arriver que des valeurs soient indifférentes par rapport au bien absolu de l’humanité, et c’est le cas du langage qui permet à une nation ou d’une ethnie de répondre à ses besoins propres sans qu’il soit nécessaire d’envisager d’imposer ce langage à toute l’humanité ; mais il y a aussi des valeurs, reconnues comme telles dans un milieu, mais qui s’opposent au bien véritable : ainsi en est-il du terrorisme, considéré comme tout à fait louable, notamment dans les pays où l’éducation civique est définie par des gens qui ont eux-mêmes pris le pouvoir par des moyens terroristes.
Ce qui a favorisé dans l’Eglise en France cette ouverture en vue d’y faire entrer sans discernement les valeurs contemporaines d’un monde sans Dieu est cette forme de modernisme qui considère que les progrès accomplis par l’humanité dans les temps modernes ont fait passer celle-ci dans un état nouveau, qui permet d’enfin comprendre convenablement la Révélation. Il faut le répéter, le « progressisme » est un schisme dans le temps : il conduit à mépriser les fidèles qui nous ont précédés ; mais la compréhension de la Révélation, qui sert à l’union à Dieu, n’est pas dépendante de la mode !
Toute une génération de prêtres avait été formée dans une syllogistique thomiste mal assimilée – car la doctrine de Saint Thomas est une doctrine de vie spirituelle à l’élaboration de laquelle toutes les ressources du génie humain sont conviées, non une suite de théorèmes… En tout cas on a vu le spectacle lamentable de ces prêtres passer sans transition à la scholastique freudienne avant de se jeter sur la vulgate marxiste.
Devant l’inanité de ces contorsions intellectuelles, on a facilement pris son parti du matérialisme pratique et du relativisme moral : « c’est comme cela aujourd’hui » est devenu une maxime autorisant à peu près tout. Croit-on qu’il y a exagération dans les présents propos ? Mais on a pu voir des déclarations signées par plusieurs dizaines de prêtres en faveur de l’avortement ! Et quand des jeunes se sont groupés pour émettre le vœu de rester vierges jusqu’au mariage, il s’est trouvé des prêtres pour crier à l’intégrisme, alors qu’il ne s’agit que d’un renouvèlement des promesses du baptême. Ou encore, il y a des cas où c’est l’autorité épiscopale elle-même qui impose aux prêtres de célébrer à l’église le remariage des divorcés…
Mais ne poursuivons pas cette liste démoralisante : ce qui est clair, c’est qu’on a cessé de juger la culture du monde selon les critères de la révélation ; on juge au contraire la révélation selon les critères du monde.
En outre souvent la tradition n’est plus perçue comme lieu de la Révélation. Mais il faut bien comprendre que le mot tradition a deux sens : celui d’un contenu transmis ou celui de l’acte de transmettre. Or si dans l’Eglise c’est bien l’Esprit Saint qui fait comprendre le donné initial, c’est encore Lui qui inspire ceux qui le mettent en œuvre à travers les siècles. Par conséquent le concept de « tradition vivante », s’il peut servir à expliquer que les manières de transmettre le donné révélé, montre surtout que les anciennes manières de faire sont elles-mêmes une illustration de ce donné. Dans le contexte de relativisme que nous avons décrit, on n’a malheureusement utilisé ce concept contre l’essence même de la tradition.
Ce relativisme moral et doctrinal a eu des conséquences quant à la conception de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux. On peut voir par exemple tel ancien vicaire général se faire une gloire d’avoir dit, au pasteur d’un diocèse anglican qui se demandait s’il n’allait pas rentrer dans la communion avec le Pape, de ne surtout rien en faire. Ou ce prêtre qui, ayant reçu la visite d’un israélite accablé par les nombreuses règles de sa religion, se fait une gloire de l’avoir aidé en lui citant l’adage « le sabbat est fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat », sans tenter de mettre son interlocuteur en lien avec Celui à qui on doit cet adage !
Enfin ce relativisme se transmet par la catéchèse : elle n’est plus guère fondée sur la révélation ; on ne veut plus que partir de l’expérience, mais à condition que celle-ci soit bien expurgée de tout élément religieux. Or si une approche inductive est excellente pour l’explication catéchétique, elle ne porte tous ses fruits que si on pratique l’induction aussi à partir de l’expérience religieuse. Surtout il est tout à fait regrettable qu’on ait banni l’approche déductive ; on avait pourtant eu l’affirmation prophétique du cardinal Ratzinger, venu prononcer à Lyon et Paris, en 1983, une conférence au cours de laquelle il déclara notamment que cela avait été une grave erreur de considérer le genre catéchétique comme dépassé. Bref, non sans malice, on a pu définir la catéchèse moderne comme l’art de faire dire par les enfants ce que le Bon Dieu aurait dû nous révéler s’il avait été plus … malin !


VIII. Un clergé désabusé
Une expression a fait florès dans les réunions de doyennés, quand il devint manifeste que la chute vertigineuse des vocations était un phénomène durable et comme irréversible : « Nous sommes les derniers du culte ! » Cette réflexion, pour humoristique que soit son énoncé, exprime un désarroi qu’il convient d’analyser.
Tâchons de nous mettre à la place de ces prêtres qui avaient trente, quarante ou cinquante ans autour de 1965. Tout à coup, on leur demanda d’abandonner ce qui avait fait la joie de leur jeunesse – citons pêle-mêle : la soutane et le latin, le culte des saints et les saluts du Saint Sacrement, la théologie classique et le chapelet… Bien sûr, tout ne fut pas fait par voie d’autorité. Pour une part, ces révisions furent obtenues par persuasion subversive : on se contentait de remarques ironiques, on invoquait tel article dans une presse qui avait eu la réputation d’être catholique, on faisait circuler des polycopiés de seconde main, on faisait grand cas de théologiens qui exhumaient des hérésies dont les Pères nous avaient pourtant débarrassés, on faisait passer pour prophètes de misérables pécheurs…
On abusa aussi de la crédulité d’un bon nombre de pasteurs zélés : il fallait délaisser une monnaie qui n’avait plus cours et se tourner résolument vers des formes de piété et d’apostolat qui n’allaient pas tarder à faire leurs preuves, les masses se convertiraient, ce serait un nouveau printemps, une nouvelle Pentecôte !
Et quand tout cela ne suffisait pas, alors, oui, on usa de procédés autoritaires. Il y eut des prêtres limogés, d’autres relégués dans les lointaines franges désertes aux périphéries des diocèses, et ceux qui résistaient malgré tout furent absolument coupés de toute possibilité de pastorale auprès des jeunes.
Donc, enthousiastes ou résignés, les prêtres, préparés par le séminaire à être de grands conformistes, adoptèrent les bouleversements. Or les fruits escomptés de ces changements se font toujours attendre en sorte qu’on en est réduit à gérer un quotidien décevant : la moyenne d’âge des assemblées dominicales peut être de soixante-dix ans, les enfants catéchisés sont une minorité dans leur tranche d’âge, on est encore un jeune prêtre à cinquante-cinq ans…
Car ce clergé qui affichait tant d’assurance s’est bien vite rendu compte qu’il ne suscitait pas de vocations. Il vit arriver dans les séminaires des jeunes issus des familles qui avaient maintenu, peu ou prou, ce à quoi le clergé dans sa grande majorité avait renoncé. Ce fut une désillusion totale. Les premiers ordonnés de ces prêtres non conformistes ont le plus souvent vécu un calvaire. Mais comment en vouloir à ceux à qui on avait tant promis et qui n’avaient rien vu venir des moissons annoncées ?
En définitive il y a peu de corps sociaux, dans l’histoire, qui aient été autant mis à mal que le clergé français. Passé très brusquement d’une notabilité respectée à un opprobre affiché, il ne peut pas ne pas s’interroger sur lui-même et ses responsabilités, et ce dans un climat où la surcharge de travail occasionnée par la diminution des effectifs provoque un sentiment de harassement, le tout vécu le plus souvent dans une très grande pauvreté. Si bien que même si on ne partage pas les valeurs du clergé postconciliaire, on ne peut s’empêcher de le regarder avec une très grande miséricorde, de celle qui respecte celui envers qui elle s’exerce parce qu’elle en reconnaît tous les mérites.
Les prêtres qui ont vécu ces changements et les ont acceptés ont donc eu leur part de fidélité dans un contexte des plus éprouvant. Ils n’ont pas suivi l’exemple de ceux qui ont quitté le ministère, mais ils ont été victimes du discrédit qui a rejailli sur eux tous à cause de l’infidélité de certains d’entre eux.
Et voilà qu’après les scandales des prêtres défroqués par milliers, il y a les scandales des prêtres pédophiles – par dizaines, mais avec une forte médiatisation : le drame est que certains de ces prêtres n’ont pas été punis, en sorte qu’on a laissé croire à l’opinion que ces faits étaient considérés comme normaux parmi nous. Le clergé français dans son ensemble est victime de ce faux principe de miséricorde qui fait que sous prétexte de ne pas accabler le pécheur, on ne dénonce plus le péché et on n’exige plus du pécheur qu’il assume les conséquences de ses actes.
On était beaucoup plus clair autrefois. Si par exemple un prêtre avait un enfant d’une mineure (on n’était majeur qu’à vingt et un ans), l’Eglise certes s’occupait de la mère et de l’enfant pour limiter les dégâts. Mais au fautif on disait de se présenter tel jour à telle heure à l’évêché d’une ville très éloignée où il accomplirait dans l’humilité et sous une surveillance appropriée un ministère qui lui permettrait de se racheter. Autrement dit le tort d’un évêque n’est pas de ne pas déférer son prêtre coupable à la justice : on n’exige pas cela d’un père par rapport à son fils, et même si la mentalité actuelle est incapable de comprendre cette relation de père et fils qui est normale entre évêque et prêtre, il faut être capable de témoigner héroïquement de cette relation. Mais le tort d’un évêque serait de ne pas manifester clairement qu’un péché est un péché, et que certains péchés sont incompatibles avec certaines responsabilités ecclésiastiques. Il y a de fausses conceptions de la miséricorde, qui sont extrêmement délétères.
Le prêtre français est donc le plus souvent confronté dans la société à une attitude qui va de l’indifférence à l’hostilité, à quoi s’ajoute parfois l’incompréhension de ses propres fidèles qui, après avoir été tant ballottés par les diverses modes pastorales ne sait plus guère où se trouve la véritable obéissance. La réponse sacerdotale se marque par une grande affabilité externe, sous laquelle se cache la plupart du temps un véritable héroïsme.

IX. Un clergé en profond renouvèlement
Cette situation terrible du sacerdoce en France a engendré, sous l’inspiration de l’Esprit Saint, mais aussi avec les imperfections des entreprises humaines, tout un éventail de réponses ; on a déjà évoqué le résurgence de formes de vie proche de la vie canoniale, mais outre ces religieux il y a des réponses typiques dans le clergé séculier qu’on peut organiser selon deux mouvances : la traditionnelle et la charismatique. Ces mouvances ne comptent peut-être pas même un dixième des paroisses de France, mais sont à l’origine de près de la moitié des ordinations sacerdotales du pays. Aussi peut-on être certain que là se trouve, pour une énorme part, l’avenir du catholicisme français. Et comme ces mouvances parfois considérées comme antagonistes commencent à jouer de leur complémentarité, une relève prometteuse s’annonce.
Avant de les étudier, disons un mot des séminaristes ou des jeunes prêtres formés en dehors de ces mouvances : on rencontre chez eux, très souvent, un sentiment de défiance par rapport à leurs devanciers, et spécialement vis-à-vis de leurs formateurs. On peut entendre des réflexions comme celles-ci : « J’ai acheté le livre de Mgr Tissier de Mallerais sur Mgr Lefebvre pour connaître un autre son de cloche, car au séminaire on nous a trop menti. » Certes, on trouvera encore pendant un certain temps des jeunes prêtres en proportion suffisante pour continuer à faire tourner un système mis en place après le concile, mais ce système s’essouffle. Le drame est qu’entre temps beaucoup de jeunes veulent réagir contre les abus mais ne parviennent pas à le faire efficacement faute d’une formation suffisante. Et c’est l’une des raisons, sans doute, du succès des deux mouvances, traditionnelle et charismatique, qui, elles, offrent davantage de garanties d’une utilisation convenable de la générosité des jeunes qui pensent au sacerdoce.
Du côté des traditionalistes, il y a une grande variété. Les traits communs les plus visibles sont la fidélité à l’habit ecclésiastique, au latin et au grégorien, à l’enseignement de la théologie « Sancto Thoma magistro », comme dit le droit canon. Mais l’éventail, dont il faut exclure les sédévacantistes, va des lefebvristes sans lien canonique avec le Pape aux communautés proches de Solesmes (qui utilisent le nouveau missel avec toutes ses potentialités traditionnelles), en passant par des lefebvristes qui font valoir les réclamations de Mgr Lefebvre tout en restant à l’intérieur des limites du droit canon, par des adeptes de l’ancien missel qui ne condamnent pas le nouveau et peuvent à l’occasion l’utiliser, par des utilisateurs occasionnels de l’un et l’autre missel, ou encore par des novomissaliens qui refusent toute concélébration…
Généralement très bien formés, à l’école de Saint Thomas éclairé par l’enseignement des meilleurs néo thomistes, les prêtres de cette mouvance représentent une garantie d’orthodoxie doctrinale bien appréciée dans les diocèses où ils sont employés.
La mouvance de renouveau charismatique n’est pas moins variée. Si elle n’a pas autant que la mouvance traditionnelle recours aux recettes éprouvées du passé, elle a du moins cet avantage de s’être constituée en étroit contact avec les réalités actuelles et d’apporter des réponses très adaptées à tous ceux qui ont perdu leurs repères, tant du fait de la rapidité des changements du monde moderne qu’à cause de son athéisme fondamental. Les œuvres en faveur de la guérison, notamment, qui fleurissent un peu partout dans cette mouvance, sont un atout important pour l’Eglise et les prêtres du renouveau peuvent faire beaucoup dans ce sens.
Or on perçoit un rapprochement de plus en plus net, dans le concret, entre la spiritualité du renouveau et celle de la tradition. Un jeune peut très bien, par exemple, se sentir à l’aise au pèlerinage Notre-Dame de Chrétienté, à la Pentecôte à Chartres, puis en août à Paray le Monial être bien en phase avec le festival charismatique qui s’y déroule. Ou encore on voit des chorales, de jeunes là aussi, puiser allègrement dans l’un ou l’autre répertoire. Bien sûr, un approfondissement spirituel personnel conduira sans doute à des choix, des spécialisations, mais pour les paroisses cette variété représente une chance.
De même, en ce qui concerne l’action des laïcs au sein de la société, on assiste à une rencontre amusante. D’un côté on a ceux qui rappellent la royauté sociale de Jésus-Christ, de l’autre on dit simplement que le meilleur service qu’on puisse rendre à une société c’est de l’évangéliser. Et tous se retrouvent dans les actions pour la vie, pour la famille, pour l’école…
Or si nous avons évoqué cette rencontre des deux spiritualités qui peut paraître nous éloigner du sujet propre de cette étude sur le sacerdoce, c’est que de plus en plus de vocations naissent non dans l’une ou l’autre de ces mouvances, mais dans les deux à la fois. Certains jeunes prêtres se définissent volontiers comme « tradicharismatiques ». A n’en pas douter ils représentent l’avenir, libres qu’ils sont des querelles du passé, libres donc de proposer à leurs ouailles tout l’éventail des spiritualités légitimes, libres de faire progresser chacun dans la voie où Dieu l’a placé.
Il reste un long chemin à parcourir pour se débarrasser des guenilles soixante-huitardes et appliquer enfin le concile Vatican II dans toute sa perspective traditionnelle. La réforme seizièmo-bénédictine est là pour servir de cadre institutionnel à cette marche. Mais le mouvement est là, perceptible depuis un moment, et il appartient à chacun de s’y insérer.

A Natitingou, en la fête de la Chaire de Saint Pierre, en l'année sacerdotale.

 

Ce texte a été publié sur le blog « Pageliasse » où il a reçu quelques commentaires. Les voici.

Très bel article, sans concession, mais aussi plein d'espérance ! Il y a des passages amusants : j'ai apprécié la théologie freudienne et la vulgate marxiste ! C'est tellement ça !
Le cœur de cet article, c'est sans doute le constat sur l'éloignement de l'eucharistie... Là est le cœur du malaise ? Sans doute...
Merci encore et bon courage dans votre apostolat !
Ecrit par : Arnold | 23.02.2010 

Excellent article autant par le ton du propos que par la justesse de l'analyse.
Ecrit par : Denis CROUAN | 23.02.2010 

Monsieur l'abbé
Merci pour ce document lumineux.
Pourriez-vous éclairer ma lanterne de laïc peu au fait des règles régissant la relation entre un curé et son évêque ?
J'ai eu il y a quelques mois une discussion tout à fait cordiale avec un prêtre (curé d'une grosse paroisse d'un gros diocèse) qui, lorsque nous en sommes venus à discuter de notre Saint-Père Benoît XVI, m'a dit la chose suivante : "J'ai juré obéissance à mon évêque, pas au Pape".
Cette phrase m'a évidemment surpris et j'étais bien incapable d'argumenter sur ce sujet de l'obéissance.
Alors, juste quelques questions, si vous voulez et pouvez pendre le temps d'une courte réponse...
- A quoi, à quel domaine, s'applique ce devoir d'obéissance ?
- jusqu'où va-t-il ?
Eventuellement, vous pouvez vous appuyer sur un exemple (pas pris au hasard bien sûr) : le Motu Proprio du 07/07/07.
En vous en remerciant par avance, veuillez recevoir, Monsieur l'abbé, l'expression de mon plus profond respect.
Ecrit par : François Belmon-Estors | 25.02.2010 

Merci monsieur l'Abbé de ce beau texte, sans concession ni équivoque.
Je suis un laïc ayant eu la chance de grandir dans la mouvance de la fraternité Saint Pierre. J'ai découvert la partie plus institutionnelle de l'Eglise à l'occasion de ma préparation au mariage. J'ai depuis l'impression, pour reprendre une expression de Jean-Paul II certes relative à un autre sujet, d'avoir découvert un deuxième poumon. C'est dire si je rends grâce au saint Père de son "herméneutique de la continuité" à propos du concile Vatican II.
J'ajouterai, monsieur l'abbé, que je me pose exactement les mêmes questions que François Belmon Estors, et que votre réponse m'intéresserait.
En union de prière.
Ecrit par : JVE | 25.02.2010 

Amis lecteurs,
Au sujet de l'obéissance dans l'Eglise, il devrait être contradictoire d'opposer l'obéissance à l'évêque et l'obéissance au Pape.
Mais je m'aperçois que l'espace d'un commentaire est trop limité pour une réponse approfondie. J'en ferai l'objet d'une note particulière.
A bientôt donc !
Abbé Bernard Pellabeuf
Ecrit par : Bernard Pellabeuf | 28.02.2010 


En outre des approbations ont été marquées sur le Forum Catholique, où j’avais annoncé la publication. J’en retiens surtout celle d’Yves Daoudal (2010-02-24 16:37:04), à cause du bémol qu’il met à la clé de la partition :
… Ce texte est globalement remarquable, et je l'ai signalé sur mon blog…
Sur le sacerdoce du prêtre, sans remettre en cause ce qu'écrit notre cher abbé, il demeure que si ce sacerdoce est plénier en tant que participation au sacerdoce plénier du Christ, il ne l'est pas par rapport au sacerdoce plénier de l'évêque, comme le montre le fait qu'il ne peut pas faire certains sacrements sans en avoir reçu le pouvoir de l'évêque. L'abbé Pellabeuf ne le dit pas mais évoque alors la "surabondance du sacerdoce" pour l'évêque: cela ne me paraît pas adéquat. Certes on doit comprendre surabondance par rapport au prêtre, mais dans le contexte on risque de comprendre surabondance par rapport au Christ... Et tout simplement je ne vois pas comment il peut y avoir une sur-abondance du sacerdoce.
Je reste évidemment ouvert à toute critique de ce genre : je ne cherche pas à absolutiser les termes que je propose. Simplement comme je pense que l’enseignement de Vatican II a pu être mal compris, je signale un inconvénient de la terminologie actuellement reçue, et ne veux pas le faire sans essayer d’être constructif.

De plus un correspondant me signale un point qui peut faire difficulté :
… Nous ne sommes pas tenus à la messe quotidienne, ni même de célébrer la messe dominicale. Il n'y a pas à stigmatiser quelqu'un là-dessus, même si la question spirituelle demeure.
Je dois préciser ma pensée sur la messe quotidienne : si nous n’y sommes pas juridiquement tenus, le code y insiste tant que je crois qu’on peut parler d’obligation morale. Car si l’Eglise y attache autant d’importance, c’est qu’elle nous a donné un pouvoir si grand pour le salut des âmes qu’il serait extrêmement dommage que nous ne nous en servions pas. Je crois que si l’Eglise n’en fait pas une obligation juridique stricte, c’est pour éviter le sacrilège d’un prêtre qui célèbrerait sans les dispositions requises : cet inconvénient n’existant pas pour le bréviaire, l’Eglise peut mettre là une obligation proprement juridique.



14/04/2020
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