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Le Cardinal Ottaviani et dom Marie-Gérard Lafond

« Puisque certains continuent à mettre en doute l’authenticité de la lettre du Cardinal Ottaviani à dom Marie-Gérard Lafond au sujet de la note doctrinale de celui-ci sur le missel de Paul VI, je veux donner ici mon témoignage :

j’ai été un peu mêlé à cette affaire en sorte que je peux donner quelques détails, même s’ils n’ont qu’un rapport lointain avec elle.
En janvier ou février 1968, l’année de mes 18 ans, je compris que Dieu me demandait d’être prêtre. A l’époque, je pensais poursuivre mes études au Prytanée de La Flèche, en préparation à Saint-Cyr. Quand je parlai de ma vocation à mes parents, ils acceptèrent, mais mon père voulut que je continue ces projets pendant les deux ans de la préparation, ce qui était judicieux pour plusieurs raisons. Mon père était entré chez les chevaliers de Notre Dame en 1962, et je l’avais suivi en entrant chez les pages de Notre Dame en 1965. Or Mgr Michon, évêque de Chartres, avait reconnu canoniquement les chevaliers de Notre Dame comme pia unio (on dit aujourd’hui ‘association de fidèles’) à Noël 1964. Mes parents me présentèrent naturellement à lui en août 1968. Il parla de m’envoyer au séminaire français de Rome.

Mon père écrivit alors à Pierre Piqué, chevalier de Notre Dame, qui se trouvait dans ce séminaire. La réponse tarda à venir, et elle arriva de Fribourg en Suisse : Pierre Piqué avait quitté Rome ; on peut comprendre pourquoi quand on lit les mémoires d’anciens de ce séminaire à cette époque ; de plus, le drapeau rouge avait flotté sur l’institution en mai 1968. Même si ce fut passager, c’est révélateur de l’ambiance : traditionalistes et progressistes s’y affrontaient.

Ici, je dois préciser ce que j’entends par ‘traditionaliste’. C’est quelqu’un qui, dans les moyens que l’Église donne pour être sauvé, préfère les formes éprouvées par l’usage des siècles ; cette préférence ne se traduit pas nécessairement par une opposition aux formes plus récentes.

Mgr Marcel Lefebvre était alors supérieur général des Spiritains, auxquels le séminaire pontifical français avait été confié. Il connaissait les séminaristes traditionalistes et tâchait de les soutenir. Je pense que c’est par Pierre Piqué qu’il a entendu parler de Fribourg. Quand il ne fut plus supérieur des Spiritains, il voulut faire quelque chose pour ces séminaristes afin qu’ils puissent arriver au sacerdoce : c’était la pagaille dans les séminaires des diocèses français. C’est ainsi qu’il fut amené à fonder la fraternité sacerdotale Saint Pie X et son séminaire. Il eut oralement de Mgr François Charrière, l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, toutes les autorisations nécessaires, elles lui furent envoyées par écrit à l’automne 1970, je les ai vues.

De mon côté, j’achetai « l’Assimil » de latin en vue de mes études, mais mon père me dissuada d’acheter celui de l’italien : il avait décidé de m’envoyer à Fribourg. Mais à l’été 1969, les pages de Notre Dame firent un camp à côté de l’abbaye de Fontgombault. Je rencontrai là le Père Abbé, qui me parla des projets de Mgr Lefebvre, et me dit que celui-ci pensait à moi : sans doute avait-il entendu parler de moi par Pierre Piqué, et le père abbé était un ami de Mgr Lefebvre. Je crus que mon père, qui avait décidé de lui-même de m’envoyer à Fribourg plutôt qu’à Rome, voulait que j’aille dans le séminaire Saint Pie X : je lui en parlai, et il crut que c’était moi qui demandais à y aller.

On peut être surpris d’une telle incompréhension ; elle est sans doute due au fait que dans mon enfance je n’avais vraiment vécu avec mon père que six ans : j’avais deux ans quand il est parti pour l’Indochine, j’en avais quatre à son retour, et à partir de l’âge de dix ans je fus en pension ; les quelques périodes de vacances ne remplacent pas une présence à l’année.

C’est ainsi qu’à la rentrée 1969, j’arrivai à Fribourg, au séminaire de Mgr Lefebvre. Encore aujourd’hui, cinquante ans après, on m’en fait grief. Mais j’ai toujours été en situation régulière. Mgr Michon avait approuvé le choix de mon père de m’envoyer à Fribourg ; de plus, apprenant que Pierre Piqué s’y trouvait, il pensa que j’y serais très bien, nous avons correspondu régulièrement. De plus, à seulement 20 ans, j’ai fait le discernement nécessaire, comme on le verra.

Nous avions les cours à l’Université d’État, et comme l’État était le canton catholique de Fribourg, l’université était catholique, avec une faculté de théologie catholique, où les professeurs étaient majoritairement des dominicains thomistes, comme d’ailleurs le demandait le concile Vatican II.

Je dois dire ma reconnaissance à Mgr Lefebvre, car j’ai reçu grâce à lui de bonnes choses que je n’aurais trouvées nulle part ailleurs ces années-là.

Cependant je sentis peu à peu une certaine raideur chez Mgr Lefebvre, bien compréhensible quand on sait les mauvais traitements dont il avait été l’objet.

Sa critique de Vatican II, notamment de la liberté religieuse, n’était pas pertinente : l’expression ‘liberté religieuse’ avait changé de sens depuis les condamnations du XIXème siècle. A une époque d’individualisme, elle avait signifié la liberté de l’individu par rapport au devoir de chercher la vérité et d’y adhérer ; au XXème siècle dominé par les totalitarismes, elle signifiait la liberté de la religion par rapport à l’État, et il est surprenant de voir de bons catholiques nier que l’Église doive être libre par rapport à l’État.

De même la critique fondamentale du missel de Paul VI par Mgr Lefebvre était maladroite. Comme l’a dit par la suite Benoît XVI, on ne peut mettre en doute la validité et la légitimité de ce missel. Mgr Lefebvre eût été bien plus habile en faisant remarquer que ce missel ne correspondait pas à ce que disait Vatican II :

on ne fera des innovations que si l’utilité de l’Église les exige vraiment et certainement, et après s’être bien assuré que les formes nouvelles sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique. (Sacrosanctum Concilium, 23)

Que l’on n’ait pas suivi Vatican II dans l’élaboration des nouveaux livres liturgiques n’invalide pas le nouvel ordo, mais justifie certaines réticences. Benoît XVI l’avait bien vu, qui souhaitait une réforme de la réforme opérée sous Saint Paul VI. Ceux qui refusent cette « réforme de la réforme » ne peuvent pas se réclamer de Vatican II.

Bien sûr, à l’époque, je ne pouvais pas faire tous ces raisonnements ; mais ma gêne était de plus en plus perceptible, et à Noël 1970, je fus mis en demeure de choisir entre « l’orientation du séminaire » et mon père spirituel. Celui-ci était l’Abbé Clerc, du diocèse de Gap, qui avait été mon aumônier à La Flèche. Il était d’une grande discrétion par rapport à cette curieuse ‘orientation du séminaire’. La décision s’imposait : je quittai Mgr Lefebvre et tout en continuant mes études à l’université, j’allais loger au Salesianum, où Pierre Piqué m’avait précédé.

Il m’a paru important de retracer le contexte, venons-en maintenant au vif du sujet : la note doctrinale de dom Lafond et la lettre du Cardinal Ottaviani au sujet de cette note.

Début 1970, dom Lafond nous demanda, à Pierre Piqué et à moi aussi, de porter sa note au Cardinal Journet, qui habitait au séminaire diocésain de Fribourg. Il nous reçut avec bonté et humilité. Il rédigea donc une lettre à dom Lafond ; mais j’appris par la suite qu’il ne s’était pas attendu à ce que dom Lafond la publie : il y parlait un peu librement de Taizé.

Parmi les attaques contre le nouvel ordo missae, il y avait que les protestants de Taizé l’avaient approuvé ; mais, disait le cardinal, ces protestants de Taizé étaient la branche du protestantisme la plus proche du catholicisme. Du reste, certains sont devenus effectivement catholiques ; sans doute le cardinal craignait qu’en en parlant trop publiquement, on bloque leur marche vers la vraie foi. En tout cas dom Lafond pensait qu’un cardinal ne pouvait pas penser que sa lettre avait un caractère de discrétion.

Je peux donc confirmer que dom Lafond a bien consulté les cardinaux dont il a publié les lettres. Surtout, le connaissant, je sais qu’il était absolument incapable de fabriquer un faux et de l’utiliser : ceux qui disent le contraire m’apparaissent comme de vils calomniateurs.

Monsieur Madiran s’est fourvoyé dans cette affaire ; manifestement son texte a été écrit sous le coup d’une violente émotion, comme de la colère : elle est pleine d’invectives, indignes de ce grand esprit en d’autres occasions.

Il accuse le secrétaire du Cardinal Ottaviani d’être un félon, et se déclare prêt à répondre de son accusation devant les tribunaux ecclésiastiques ! Mais pourquoi le secrétaire d’un cardinal devrait-il obéir à un simple laïc qui l’invective ? depuis quand un ecclésiastique de haut rang doit-il se plier aux désirs d’un journaliste, même s’il se pique de théologie ? Une telle posture de Monsieur Madiran ne prouve rien d’autre que son dépit. Du reste, pourquoi n’a-t-il pas lui-même intenté un procès, s’il était persuadé qu’il y avait faux et usage de faux ? Là, il ne prouve rien.

Sur le fond, c’est faire injure au Cardinal Ottaviani que de penser qu’il aurait pu approuver sans réserve l’argument selon lequel le nouveau missel manifeste un manque de foi en la présence réelle de Jésus dans l’hostie au motif qu’on y parle, après la consécration, de la venue future du Christ (donec venias) ; car c’est tout simplement du Saint Paul :

Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. (1 Co 11,26)
Le même argument vaut pour le fait que dans le nouveau missel on parle de ‘pain’ à propos de l’hostie.

Il ressort de tout cela que si le Cardinal Ottaviani a bien approuvé le « Bref examen critique », ce ne peut être que comme un ensemble de questions auxquelles il souhaitait qu’une réponse officielle soit donnée, non comme des arguments définitifs. Ces réponses, il les a eues de la bouche même de Saint Paul VI, en audience privée, et il s’en est déclaré satisfait ; sinon, n’aurait-il pas eu le devoir de proclamer continuellement son opposition audit missel ?

Là encore, ce serait faire injure au Cardinal Ottaviani que de penser que son silence était coupable, et Jean Madiran une nouvelle fois ne prouve rien.

Continuons enfin avec le coup de la signature figurant en bas de la lettre du cardinal à dom Lafond : Jean Madiran affirme qu’elle est différente des autres signatures du cardinal : mais Jean Madiran savait parfaitement que celui-ci était aveugle, et il le rappelle dans son texte : qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’un aveugle ne signe pas toujours de façon exactement identique ?

Et si l’on dit que les secrétaires du Cardinal Ottaviani ne lui a pas lu la note de dom Lafond, rien n’empêche de retourner l’argument à propos du bref examen… Comme tout au long de son texte, Jean Madiran ne prouve rien.

On le voit, il serait fastidieux de relever chacune des incohérences du texte de Jean Madiran ».

Abbé Bernard Pellabeuf,
Angers, le 20 mai 2024.

 

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25/05/2024
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