L’abstraction mathématique
L’abstraction mathématique
- Voilà un titre un peu ambitieux, non ?
Bon, alors mes chers élèves, nous allons essayer de rester très simples.
- Mais souvenez-vous de ce que nous avons dit en expliquant l’abstraction habituelle : nous avons observé des objets divers, différents, mais qui avaient quelque chose en commun ; rappelez-vous, nous avons parlé d’arbres – des feuillus, des conifères, des palmiers – et nous avions remarqué des ressemblances entre eux, ce qui nous avait permis de comprendre que le mot ‘arbre’ avait une signification analogue, et que le concept d’arbre avait une certaine réalité, on l’a obtenu en tirant des ces réalités dont nous avons l’expérience ce qu’elles ont en commun. Eh bien nous allons faire quelque chose d’un peu semblable aujourd’hui.
- Vous voyez ces chaises, dans le coin de la pièce, n’est-ce pas ?
- Oui, Pater !
- et ces dessins au tableau ?
- Oui, Pater !
- Et que voyez-vous sur la table ?
- Des stylos, Pater.
- Bon, alors maintenant dites-moi ce qu’il y a en commun entre ces trois groupes d’objets.
- A chaque fois, il y en a trois !
- Bien observé, et félicitations : vous venez de faire une abstraction mathématique ! Vous avez abstrait (c’est-à-dire ‘tiré’) de ces groupes d’objets ce qu’ils ont en commun : leur quantité. Et vous comprenez aussi qu’il y a différents types de quantités, par exemple les quantités ‘continues’, comme les liquides, qu’on divise arbitrairement en litres, ou en diverses unités de mesure, et les quantités ‘discontinues’, qui mesurent (ou nombrent) des objets qu’on peut séparer naturellement. Bref, même le concept de quantité est analogue !
- Et à présent, que voyez-vous de commun entre ces trois dessins au tableau ?
- Ils sont tous ronds ! Ce sont tous des cercles !
- Ah, non ! Ce ne sont pas des cercles : puisque c’est moi qui les ai dessinés, ce sont de très beaux cercles ! Mais félicitations quand même, encore, car cette fois-ci vous avez fait une abstraction géométrique ! Vous avez tiré de ces dessins ce qu’ils ont en commun, leur forme, que vous avez rapprochée d’autres objets dans la nature qui ont la même forme : les vaguelettes qui se forment dans l’eau quand on y jette une pierre, ou la lune, etc. Cette abstraction est assez proche de l’abstraction mathématique, ce n’est pas ici la quantité, mais la forme qu’on abstrait.
A présent, il nous faut examiner le statut de ces « êtres mathématiques » (ou « êtres de raison – entia rationis) que nous avons trouvés par abstraction. Ainsi, dans l’expression « trois chaises », qu’est-ce qui est réel ? Les chaises, bien sûr ! On peut s’asseoir sur les chaises, pas sur le trois !
Toutefois, si trois personnes surviennent (en retard au cours, vous le leur ferez remarquer), on pourra les faire asseoir chacune sur une chaise : les chaises sont réelles, mais c’est vrai aussi qu’il y en a trois. Le trois a donc son type de réalité lui aussi. De même pour les formes géométriques, elles ont-elles aussi leur niveau de réalité.
Ces choses ont leur importance. Par exemple, que répondre à la question : « Le monde est-il infini » ? Le monde est de l’ordre de la réalité tout comme les chaises, mais l’infini est de l’ordre de l’abstraction mathématique. Nous comprenons que l’infini est un concept de l’ordre du nombre, simplement il est plus grand que le plus grand des nombres imaginables.
Nous pouvons maintenant essayer de répondre à la question : « Le monde est-il infini ? » Remarquons que le monde est un être réel, du même ordre de réalité que les chaises dans l’exemple précédent, tandis que l’infini est un être mathématique. Le monde est peut-être infini, mais il est plus probable qu’il soit fini ; cependant nous avons besoin du concept d’espace infini pour comprendre qu’il peut toujours exister un astre encore plus éloigné de nous que l’astre le plus éloigné dont nous connaissons déjà l’existence.
Il en va de même pour la question de savoir si l’histoire du monde est infinie : a-t-il un commencement ou une fin ? Nous n’en savons rien : même si notre monde était infini dans la durée, cela n’empêcherait pas qu’il puisse être créé, car ce que nous appelons création est une dépendance radicale de l’univers que nous mesurons dans l’espace et le temps ; là encore, le concept de temps infini est utile pour comprendre qu’il peut y avoir eu des phénomènes plus éloignés dans le temps que les plus éloignés dont nous avons connaissance.
Ajoutons que le hasard lui-même est un être de raison. Quand on dit que quelque chose est dû au hasard, on veut dire qu’il n’y a pas de cause connue. Le hasard est donc lui-même de l’ordre de l’abstraction mathématique. On dit que les êtres mathématiques n’ont pas de cause, mais ils ne peuvent pas non plus être cause de quoi que ce soit. Ainsi dire que le monde s’est fait par hasard est une absurdité.
Annexe (on n'ose dire addition') du 28/10/24
Paul Valéry pensait que : « Descartes est certainement l'un des hommes les plus responsables de l'allure et de la physionomie de l'ère moderne que l'on peut particulièrement caractériser par ce que je nommerais la quantification de la vie. En substituant le nombre à la qualité, en excluant tout ce qui n'est pas mathématiquement évident ou censé tel, cette matérialisation de la science est au principe et à l'origine de la profonde inhumanité de la science moderne. »(***) (*)Histoire de la volonté de perversion de l'intelligence et des mœurs aux éditions de Chiré page 54
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