L'âge des Évangiles
Au XIXéme siècle des théologiens protestants de la tendance dite « libérale » ont imaginé que le Nouveau Testament avait été rédigé vers la fin du Ier siècle, c’est à dire plusieurs décennies après la mort de Jésus. Par conséquent il aurait une valeur historique très faible : il ne nous raconterait pas la vie de Jésus, mais seulement les croyances de la communauté chrétienne d’alors. Depuis, de nombreux exégètes catholiques ont adopté ces positions, un peu rapidement nous semble-t-il. Voici quelques arguments en faveur d’une rédaction ancienne du Nouveau Testament.
LA CHUTE DE JERUSALEM.
Souvent dans le Nouveau Testament on parle de Jérusalem, où Jésus se rendait régulièrement. Un jour, Jésus avait prédit que tout y serait détruit: « De ce Temple que vous voyez, il ne restera pas pierre sur pierre ». Dans tous les Evangiles on aime souligner que les prophéties s’accomplissent. Jésus accomplit-il une parole d’un prophète qui l’a précédé? On le fait remarquer. Prophétise-t-il lui-même quelque chose? On annonce que cela s’est produit. Mais nulle part on ne dit que la prophétie de Jésus sur la ruine de Jérusalem s’est accomplie.
On est donc en droit de penser que le Nouveau Testament a été écrit avant l’an 70, date à laquelle les armées romaines commandées par Titus ont pris la ville de Jérusalem et incendié le Temple. Sans quoi on en aurait parlé. Car cet événement était remarquable pour deux raisons au moins, indépendamment de son annonce par Jésus.
D’abord, le Temple de Jérusalem avait été construit sous le règne d’Hérode le Grand juste à la fin du Ier siècle avant Jésus-Christ. Il était le plus beau et le plus grand de tout l’Empire Romain. Et pour les Juifs, il devait durer toujours. Sa destruction avait donc des allures de fin du monde. D’ailleurs, quand dans l’Evangile on parle de la fin de Jérusalem, on y mélange des prédictions concernant la fin du monde. Si les Evangiles avaient été remaniés après l’an 70, on aurait séparé les passages concernant la ruine du Temple de ceux concernant la fin du monde.
Et puis le siège de Jérusalem avait été particulièrement horrible. La guerre durait depuis trois ans. Les Juifs menaient une résistance acharnée, les Romains étaient exaspérés par une révolte qui dépassait tout ce qu’ils avaient pu imaginer. Assiégés dans Jérusalem, les Juifs n’eurent bientôt plus assez à manger. Ils firent sortir les femmes, les enfants et les vieillards de la ville. Le général romain refusa qu’on les accueillît, pour démoraliser les défenseurs : ils moururent sous leurs yeux. Mais les assiégeants n’obéirent qu’imparfaitement à cet ordre. Les Juifs, considérés comme très riches, étaient supposés avoir avalé leurs bijoux avant de quitter la ville : on les étripait pour aller les rechercher, et les cadavres pourrissaient entre les lignes... L’ampleur d’un tel désastre frappa les esprits, en sorte qu’il est inconcevable que les écrits des chrétiens n’en parlent pas s’ils ont été rédigés après.
LES ACTES DES APOTRES.
Les Actes des Apôtres commencent à l'Ascension. Ils racontent d’abord la vie de la première communauté chrétienne de Jérusalem autour de Saint Pierre. Puis, après la conversion de Saint Paul, on suit celui-ci jusqu’à son arrivée à Rome vers l’an 62.
Il y a un parallèle entre le troisième Evangile et les Actes: ceux-ci sont une montée vers Rome, capitale de l’empire, comme celui-là est une montée vers Jérusalem, ville sainte où Jésus vient mourir et ressusciter. Normalement, les Actes devraient faire mention du martyre des Saints Pierre et Paul à Rome, pour que le parallélisme soit aussi parfait que les événements le permettaient. Mais puisque les Actes ne parlent pas de ce double martyre, survenu vers l’an 64, on peut raisonnablement estimer qu’ils ont été rédigés vers 63 au plus tard.
Une autre indication est que les Actes sont centrés sur Saint Pierre jusqu'au moment où il s'échappe de prison grâce à l'intervention d'un Ange : ensuite on n'en parle plus. Or tant qu'il était recherché par la police, il y aurait eu un danger pour lui si l'on avait dit qu'il était à Rome dans un texte qui risquait de tomber en de mauvaises mains.
Ce qui renforce cette idée, est que les Actes sont pour une bonne part une apologie de Saint Paul. Celui-ci en effet avait persécuté les chrétiens de Jérusalem. Puis, après sa conversion, il s’était fait le champion de la cause des païens convertis : ils n’avaient pas besoin, disait Saint Paul à juste titre, de suivre les obligations de la loi juive pour devenir chrétiens. A Jérusalem, beaucoup de membres de l’Eglise étaient d’un avis contraire. A plusieurs reprises, ils s’opposeront à l’action de Saint Paul.
Raconter son oeuvre d’évangélisation était donc pour Luc l’occasion de faire rendre justice à celui qui avait été son maître dans la foi. De la sorte, si les Actes des Apôtres avaient été rédigés après 63, ils se seraient terminés par le récit du martyre de celui à qui toute la deuxième partie du livre rendait témoignage. Car cette mort prouvait la vérité de la foi de Paul.
LES EVANGILES SYNOPTIQUES.
L’Evangile de Saint Luc a nécessairement été écrit avant les Actes. Car au début de son second livre, Luc fait allusion au premier. Ce qui situe la rédaction de celui-ci au plus tard vers 63, juste avant les Actes. On a voulu invalider ce raisonnement en émettant l’hypothèse que les Actes ne seraient pas du même auteur que le troisième Evangile. Mais les deux livres ont à peu près le même style, le même vocabulaire, les mêmes centres d’intérêt. Et ils sont bien tous les deux rédigés par un médecin.
Ainsi dans les Actes, on raconte que le bateau où se trouvaient Paul et Luc risquait d’être broyé par la tempête ; et comment les matelots ont cerclé celui-ci avec des cordages. Le mot employé pour cette opération n’est pas un terme de marine, mais de médecine, comme pour envelopper d’un pansement un membre blessé. Et dans son Evangile, Luc omet un passage gênant pour ses collègues de Palestine, auprès desquels une malade avait dépensé en vain toute une fortune.
Or les Evangiles des Saints Matthieu et Marc ont été écrits encore avant celui de Luc. Dans l’introduction à son Evangile, Saint Luc parle de ceux qui ont avant lui écrit des récits semblables à celui qu’il entreprend.
On pense aussi voir dans une épître de Saint Paul une allusion à un ensemble d’écrits formant un début de Nouveau Testament comparable à l’Ancien. Il s’agit de l’épître aux Corinthiens (3, 6-14), que beaucoup datent du milieu des années cinquante. Une telle comparaison implique qu’outre les quelques épîtres de Saint Paul déjà publiées à cette date, il y ait eu au moins un Evangile et d’autres écrits. Ce qui nous permet d’avancer la rédaction des deux premiers synoptiques au début des années cinquante, si l’on tient compte du temps de leur diffusion.
Bref, ces arguments et d’autres trop nombreux pour figurer ici incitent à considérer que les Evangiles synoptiques ont bien été rédigés soit par des témoins oculaires des événements rapportés, soit à une époque où les témoins étaient suffisamment nombreux pour qu’on ne puisse pas raconter n’importe quoi. De plus ils sont très vraisemblablement en dépendance avec la prédication de Saint Pierre qui dés la Pentecôte a pris la parole au nom de tous les Apôtres. Ainsi s’expliquerait qu’ils gardent tous à peu près les mêmes schémas.
LE QUATRIEME EVANGILE ET L’APOCALYPSE.
Il y a un problème particulier pour les écrits de Saint Jean, qui semblent avoir été rédigés indépendamment des autres textes du Nouveau Testament. Certains ont même émis l’hypothèse qu’ils auraient été écrits pour une communauté distincte à l’origine de l’Eglise des douze Apôtres! Mais pour l’admettre comme sûr, il faut prouver que leur(s) auteur(s) n’était pas l’Apôtre Saint Jean.
Une hypothèse doit être mentionnée, en raison de l'autorité de Claude Tresmontant, qui l'a soutenue : l'auteur du quatrième évangile serait un prêtre du Temple de Jérusalem. Mais les traditions qui fondent cette hypothèse sont plutôt ténues. Surtout cela ne cadre pas avec la façon très hostile dont Saint Jean parle des Juifs - en fait c'est là une mauvaise traduction, on devrait dire les Judéens, donc les habitants de Jérusalem et de la région avoisinante de Judée : l'auteur du quatrième évangile est bien un Galiléen et comme les habitants de cette province il cultive une méfiance vis à vis des gens de la capitale.
Or il est question dans le quatrième Evangile du « disciple que Jésus aimait ». Cela semble bien être une trouvaille de Saint Jean pour parler de lui-même à la troisième personne. C’est cohérent avec le texte. Ainsi au début de l’évangile, Jésus dit à deux disciples qui lui demandent où il demeure: « Venez et VOYEZ ». Or le thème de la vue est central dans tout ce livre. Au point qu’une conclusion se trouve au moment où pour constater la résurrection, le disciple entre dans le tombeau vide de Jésus; le texte nous indique: « Il VIT et il crut. »
Cela, avec d’autres indices unis à une tradition très ancienne, nous paraît suffisant pour garder comme hypothèse que c’est bien Saint Jean qui en est l’auteur. Dés lors, pour la date de rédaction, il est intéressant de constater que beaucoup de passages reflètent l’empreinte d’un rédacteur jeune, qui a de l’humour et de la passion. Pour l’humour, qu’on relise le dialogue de Jésus avec la Samaritaine: celle-ci accumule les contresens, pour finalement reconnaître que Jésus est le sauveur. Pour la passion, voyez les passages où Jésus argumente avec les gardiens de l’orthodoxie juive.
Si donc Saint Jean a écrit cela tard dans sa vie, il faut reconnaître qu’il avait gardé les sentiments de sa jeunesse, même si l’on doit bien admettre que de nombreux passages sont le fruit d’une longue méditation. Les disciples de Jean ont probablement ajouté quelques passages à son livre, vers la fin. Mais ils n’ont rien changé au ton ni au contenu de l’ensemble. Ce que nous avons dit sur les événements de 70 reste valable ici.
Que ce livre soit indépendant des trois autres évangiles et les complète n’est pas une difficulté pour une rédaction à la même époque : Saint Jean ne pouvait pas ignorer la prédication de Saint Pierre, à laquelle il avait assisté à Jérusalem après la Pentecôte.
L’apocalypse pose lui aussi quelques problèmes. Il pourrait être très tardif. Mais on signale qu’un livre de ce nom aurait circulé dans la communauté chrétienne de Jérusalem, l’incitant à quitter la ville avant le siège. Les allusions de notre livre à la ruine d’une grande ville, nommée « Babylone » pour la circonstance, peuvent concerner aussi bien Rome que Jérusalem. Ils s’appliquent en définitive à toute civilisation qui repousse le Christ. Et ils sont une prophétie plus qu’une narration d’un fait passé.
Rien donc n’oblige à supposer au Nouveau Testament une rédaction tardive. Au contraire, les partisans d’une rédaction pendant la première génération chrétienne ont des arguments toujours solides même après un siècle et demi d’hypothèses contraires.
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