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Initiation au chapelet

                        Depuis Saint Pie V, il n’est guère de Pape qui n’aie recommandé la récitation du chapelet. En tout cas depuis sans doute deux siècles tous l’ont fait. Or on entend parfois deux remarques à propos du rosaire : puisque Jésus a dit de ne pas multiplier les paroles, pourquoi cette répétition quasi sans fin des Ave Maria ? Et comment faire coïncider l’attention aux paroles de l’Ave avec celle due aux mystères eux-mêmes ?

 

                        Connaissez-vous la prière du Nom de Jésus ? On l’appelle souvent « prière du cœur », mais y a-t-il une prière qui ne soit du cœur ? Cette prière consiste à répéter sans fin le Saint Nom : Jésus. Il faudrait que chacun essaye cette prière au moins une fois dans sa vie, ne serait-ce que quelques minutes. Mais attention, il ne s’agit pas d’une simple répétition : à chaque fois il faut penser à Jésus, L’appeler, L’invoquer dans un climat d’amour. Si bien qu’on voit tout de suite qu’il ne s’agit pas d’une répétition de paroles, mais d’une succession d’actes spirituels. Chaque invocation est un acte par lequel on s’unit à Jésus.

 

                        C’est, dit-on, la prière des ermites russes. J’ai rencontré un ermite, bien français, lui ; il me tutoyait car nous sommes anciens de la même école. « Tu vois, me disait-il, quand je dis à Dieu ‘je T’aime’, cela me prend une demi-journée. » La prière d’un ermite est en fait une union constante à Dieu. C’est cela qu’on obtient par la prière du Nom de Jésus. Chaque invocation qui m’unit à Jésus est un acte, et la répétition de cet acte produit en nous une disposition stable qui perfectionne notre nature en l’unissant à Jésus. Une telle disposition stable est appelée par les philosophes un ‘habitus’ : plus qu’une habitude qui ne concerne guère que le comportement extérieur, c’est quelque chose qui touche le plus profond de notre âme spirituelle.

 

                        Le plus profond de notre âme, c’est notre cœur. Sans doute faut-il en dire un mot, puisqu’il est question ici de prière et que c’est avec le cœur qu’on prie. L’âme construit notre corps et le dirige. Pour cela, elle a besoin de connaître, et elle a donc une intelligence ; il lui faut aussi aimer ce qui est utile à tout notre être, et elle a donc une volonté. Il est trop peu connu que l’amour se situe dans la volonté ; mais comme aimer c’est vouloir le bien de celui qu’on aime, l’amour est nécessairement volontaire. Or pour pouvoir progresser en connaissance et en amour, l’âme a aussi une mémoire. Et ces facultés travaillent ensemble. Ainsi la conscience est l’endroit de notre âme où l’intelligence et la volonté travaillent ensemble : elle nous fait connaître ce qui est bien ou mal, et elle nous fait désirer le bien et haïr le mal. Le cœur est situé dans la conscience, il est cet endroit de notre âme où la mémoire travaille avec la conscience.

 

                        Notre âme est spirituelle. Quand Saint Paul parle de notre être qui est « corps, âme et esprit », le meilleur exégète qui soit au monde, à savoir l’Eglise, nous dit qu’il ne s’agit pas de trois parts de nous-mêmes, comme si l’esprit était aussi distinct de l’âme que celle-ci est distincte du corps. En fait l’esprit est une dimension de l’âme qui donne à celle-ci une capacité à l’égard de Dieu : l’esprit, créé en nous à notre origine, vient se loger dans l’intelligence pour la rendre capable de connaître Dieu, et dans la volonté pour la rendre capable d’aimer Dieu. On voit ainsi le lien entre l’esprit et le cœur : puisque Dieu est amour, c’est par amour qu’Il crée le monde et qu’Il crée notre esprit, et on ne peut accéder à Dieu qu’en Le connaissant comme Créateur et en L’aimant en retour. Seule la collaboration de l’intelligence et de la volonté, collaboration qui suppose un effort dans le temps et engage la mémoire, permet de s’unir à Dieu : c’est bien le cœur qui est à l’œuvre ; comme le dit le Père André Louf, « on prie avec le cœur ». On comprend alors le mot de la philosophe Simone Weil : « l’attention est la seule faculté de l’âme qui donne accès à Dieu. » L’attention suppose la durée, la mémoire, elle est en lien avec le fait d’être attentif, intellectuellement, et avec le fait d’être attentionné, dans l’amour.

 

                        C’est ce qui est en jeu dans la prière du Nom de Jésus. Mais si l’on fait l’expérience de la répétition aimante du Nom de Jésus, on voit bien souvent que c’est difficile. On peut s’aider, et il faut le conseiller aux enfants quand on leur apprend à prier, en ajoutant de petites phrases, et dire « Jésus, je T’aime » ou bien « Jésus, Tu m’aimes ». J’aime aussi dire aux enfants d’alterner les deux formules et leur demander ensuite laquelle ils préfèrent. Ainsi ils réfléchissent bien à ce qu’ils disent, et c’est valable aussi pour nous, adultes ! Il n’y a pas une bonne réponse et une mauvaise, mais il faut se souvenir que c’est Jésus qui nous a aimés le premier. On peut dire aussi « Jésus, merci », ou « Jésus, s’il Te plaît donne-moi… » Certains ont eu tendance à déprécier la prière de demande, pourtant elle répond à un commandement de Jésus : « demandez, et vous recevrez » ; et elle est tellement naturelle qu’il faut en fait commencer l’éducation à la prière par cette forme de prière. Il faut terminer ces exercices par la formule « Jésus, je T’adore », qui vient réunir les formules précédentes.

 

                        Cependant même ces formules restent difficiles à utiliser durant un long moment. Or Jésus nous dit de diverses façons « Priez sans cesse ». C’est pourquoi les ermites russes recommandent à leurs disciples qui restent actifs dans le monde de dire une formule plus longue ; on en trouve plusieurs versions, mais il s’agit toujours à peu près de ceci : « Seigneur Jésus, Fils de Dieu, Sauveur, aies pitié de moi pécheur. » Le Pape Saint Jean-Paul II a recommandé cette dévotion, qui se répand en Occident au bon moment. Cette prière-là, il faut l’avoir non seulement essayée, il faut l’avoir pratiquée au moins de temps en temps.

 

                        On le voit, cette formule permet de penser à Jésus de façon correcte, elle nous met en rapport avec Lui en vérité. On lui dit ses titres, ceux qu’Il a à notre amour et à notre reconnaissance. On pense à la joie qu’II a de nous voir les reconnaître. Comme Il a aimé que Saint Pierre lui dise « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! », ainsi il aime que nous aussi, à notre tour, nous adhérions à Lui par la foi. Il aime que nous le reconnaissions comme Seigneur et Sauveur. Ainsi notre âme s’élève vers Lui dans une attitude juste. Et cette élévation est un acte qui, répété, produit en nous la contemplation, qui consiste à être toujours à sa juste place sous le regard de Dieu. Or cette juste place, c’est celle de pécheurs, qui demandent la miséricorde du Sauveur : après la montée vers Jésus et son Père, cette formule de la prière du Nom de Jésus appelle la descente des grâces de Dieu vers nous.

 

                        Certains regrettent l’absence de Marie, la Mère de Jésus, dans cette prière. Peut-on être à sa juste place sous le regard de Dieu sans être proche de la Vierge Marie ? Aussi on peut allonger la formule comme suit : « Seigneur Jésus, Fils de Dieu, Sauveur né de la Vierge Marie, aies pitié de moi pécheur. »

 

                        Et là on comprend sans doute le pourquoi de cette longue digression sur la prière du Nom de Jésus. En fait l’Ave Maria ressemble beaucoup à notre formule. Dans l’Ave, on a le Nom de Jésus au centre de la prière. C’est davantage sensible en latin ou en allemand, où l’on dit : « et Il est béni, le fruit de vos entrailles, Jésus. » Autrement dit, si l’on y regarde bien, dans l’Ave aussi on monte vers Jésus dans un premier temps, et le deuxième temps de l’Ave est à son tour une demande que la grâce de Dieu descende vers nous. Simplement, cette montée et cette descente se font par la Vierge Marie, ce qui est conforme au plan de Dieu. Comme le dit Saint Louis-Marie, si Dieu est venu par la Vierge Marie dans le monde, Il y reviendra aussi par la Vierge Marie. Et on peut ajouter que sa venue dans nos vies personnelles suit la même voie. Il est donc légitime de se mettre dans une attitude juste par rapport à Dieu en se mettant en rapport avec la Vierge Marie. Comme Jésus aime qu’on lui dise les titres qu’Il a à notre reconnaissance, Marie aime qu’on lui dise les siens propres, qui sont justement d’être en étroit rapport avec Dieu. Elle est pleine de grâce, le Seigneur est avec elle, et surtout elle est la Mère du Fils béni de Dieu. Et une fois mis dans cette attitude spirituelle juste en pensant à Marie, on peut demander son intercession, qu’elle prie pour nous – et là encore nous nous souvenons de notre situation de pécheurs.

 

                        Là, on voit que si la prière du Nom de Jésus nous met dans la contemplation, l’Ave Maria le fait aussi. Chaque Ave est un appel à la Vierge Marie, et celui qui veut dire chaque Ave en pensant à Marie est en contact habituel – au sens de l’habitus qui est bien plus qu’une habitude – avec Marie et avec la divinité. On peut penser avoir répondu à la première objection contre le chapelet, celle de la répétition de paroles : ces paroles sont le support d’autant d’actes d’union à Jésus par la Vierge Marie.

 

 

                        Il nous reste à parler de la seconde difficulté : comment concilier l’attention aux paroles de l’Ave et l’attention au sens des mystères médités ? La réponse est toute simple. Il faut profiter de ce que la répétition des Ave nous met en rapport constant avec Marie pour lui demander ce qu’elle a pensé quand l’évènement évoqué par chaque mystère s’est produit. De cette manière, on voit bien que l’attention au mystère se situe à l’intérieur de l’attention à Marie, attention qui est provoquée par les paroles mêmes de l’Ave.

 

                        Mais comprenons-nous bien ! Un jour que j’apprenais à des enfants à faire ainsi, à la fin de la dizaine où ils avaient médité sur l’annonciation, une fille a dit : « Elle n’a pas répondu ! » « A moi non plus ! » a dit un garçon. Cela m’a amusé, mais aussitôt j’ai regretté d’avoir souri, car je m’étais mal exprimé, et eux ils avaient mis tout leur cœur dans leur prière. Demander à la Sainte Vierge ce qu’elle a pensé de chaque évènement rappelé dans le rosaire ne nous dispense pas de faire l’effort de la réflexion personnelle : en fait on demande à Marie de guider cette réflexion.

 

                        D’ailleurs on ne demande pas à Marie seulement ce qu’elle a pensé quand elle a vécu l’évènement : il y a des mystères aux évènements desquels elle n’a pas assisté, comme l’agonie, la flagellation, ou encore certains mystères lumineux. Dans ces cas-là, on demande à Marie ce qu’elle a pensé quand on les lui a racontés, et c’est très fructueux car en plus cela nous fait penser au moment où elle l’a entendu raconter. Enfin, puisque Marie a médité toutes ces choses dans son cœur, il faut lui demander de nous faire entrer dans sa propre méditation.

 

                        De cette façon nous aurons en nous les sentiments de la Vierge Marie. Et c’est une excellente façon d’appliquer la maxime de Saint Paul : « Ayez en vous les sentiments du Christ Jésus. » Car Jésus, puisqu’il est vraiment homme, a dû apprendre et donc être éduqué. Ses sentiments ont donc été formés par la Vierge Marie et Saint Joseph. On voit là l’un des principaux bénéfices de la prière du rosaire : non seulement il nous met en contact permanent avec Jésus par le contact permanent avec sa Mère, mais en plus il nous donne de penser comme le Christ en étant éduqués par celle qui L’a éduqué. Et si nous avons l’habitude de penser comme le Christ au sujet des mystères de sa vie, nous sommes bien près de penser comme Lui au sujet de nous-mêmes, de nos proches, des évènements de notre vie.

 

 

                        Ainsi, en répondant aux questions qu’on se pose normalement au sujet du chapelet, on peut voir qu’il n’est pas seulement une excellente école de prière, il est aussi une école de vie chrétienne – rien d’étonnant, puisque l’essentiel de la vie chrétienne c’est la prière.



06/06/2020
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