Inculturation, à propos du "rite zaïrois de la messe"
"A Bukavu, même les Pères Blancs sont noirs !"
Tel était le titre d'un article de l'Aide à l'Eglise en détresse ou d'un autre organisme (peut-être Famille chrétienne ?)
Il y était question d'un séminaire qu'avaient ouvert les Pères Blancs (du Cardinal Lavigerie) dans cette ville située à 1500 m d'altitude au Zaïre (ex-Congo-ex-Belge), à la frontière rwandaise, dans les années 1980.
Dans leur chapelle, le tabernacle était un panier en osier d'une forme particulière, celle de la réserve traditionnelle que tout chef de famille se devait d'avoir dans la région pour y conserver de la viande pour le cas où un ami arriverait inopinément. Un confrère du pays me dit : mais c'est faux ! Bien sûr le tabernacle est la Sainte Réserve pour le viatique, mais ce que nous mettons dans le Tabernacle, ce n'est pas de la viande morte, c'est le Corps du Christ ressuscité.
En revanche, un geste concret d'inculturation réussie consistait à remettre une houe à une jeune fille prononçant ses vœux de religion. C'était une façon de lui dire : tu entres en religion, non pour fuir la condition féminine, mais pour suivre Jésus.
J'ai connu une supérieure de religieuses (de la congrégation des "Soeurs Angéliques", ce qui vous laisse supposer qu'elles étaient italiennes) qui disait : "Quand une jeune fille se présente au noviciat, je cherche à savoir si elle a la vocation à la vie religieuse ou bien la vocation à Jésus. Si c'est la vocation à la vie religieuse, je ne la garde pas." Car la "vie religieuse", cela voulait dire vivre dans une maison en dur avec l'électricité.
J'ai souvent vu en Afrique des processions des oblats où des femmes en robes uniformes apportaient vers le chœur le pain et le vin, non pas vraiment en dansant (ce mot exprime des mouvements amples ou saccadés), mais plutôt avec un pas rythmé soutenu par une musique adaptée. Je trouve cela en général très réussi. Cependant je souhaiterais que le calice soit porté par un homme, un acolyte par exemple, et que les femmes s'arrêtent à l'entrée du sanctuaire, où des hommes recevraient de leurs mains les oblats. Mais que la procession elle-même soit une affaire principalement de femmes manifeste à bon droit le rôle que celles-ci ont dans le dynamisme des communautés chrétiennes d'Afrique Noire.
On comprend à ces exemples que s'il est louable de vouloir adapter les rites pour qu'ils soient parlants, significatifs, compris, dans une culture et un contexte donnés, ce n'est pas chose facile.
Vatican II avait ouvert la voie à de telles adaptations. C'est dans ce contexte qu'a été forgé le "rite zaïrois de la messe". L'idée de départ était bonne, mais ce qui devrait s'appeler plutôt "la variante zaïroise du missel romain" a sans doute été davantage une construction intellectuelle qu'une conséquence d'expériences pastorales.
Ainsi un liturgiste de Kinshasa avait imaginé un "bosquet initiatique", où l'on célébrerait l'initiation chrétienne. C'est une référence au fait que dans de nombreuses traditions africaines les rites d'initiation (comme la circoncision par exemple) se passent dans un bois sacré (c'est même une indication pour les historiens : si les lieux d'initiation sont plus au Nord que l'habitat moyen d'une population, c'est que cette population a migré assez récemment depuis le Nord, etc.)
Pour le baptême, pourquoi pas ? Pour la confirmation, c'est déjà plus problématique, en raison du fait que l'évêque doit réunir des confirmants en nombre suffisant. Pour l'Eucharistie, il faut que ce soit dans une église !
Mes confrères zaïrois me disaient donc justement (dans les années 1980) : "Mais qu'il le fasse lui-même, au lieu de penser à ça dans son bureau, et alors nous verrons." - Il y avait là peut-être en partie une réaction des gens du Kivu contre ceux de la lointaine Kinshasa (qui n'est qu'à 270 m d'altitude, non mais sans blague).
Du rite zaïrois de la messe, je n'ai vu que le film du début d'une cérémonie. Le prêtre est monté à l'autel, et au lieu de le vénérer d'un discret baiser, il s'est plié à hauteur de la taille pour poser tout son torse sur l'autel, bras étendus, et cela non pas seulement du côté où il était arrivé, mais successivement sur les quatre côtés de l'autel. J'ai trouvé que cela manquait de sobriété, et si j'avais regardé la suite, c'eût été par pure curiosité ; n'en ayant pas le temps, j'ai cessé là.
Le prêtre portait une coiffe en plume, une parure de chef. Le même confrère qui critiquait le tabernacle des Pères Blancs me disait : Mais nous ne sommes pas des chefs !
Bref, si des adaptations doivent être apportées aux rites liturgiques au titre de l'inculturation, elles se feront de façon assurée si elles proviennent d'un besoin ressenti par les pasteurs de terrain, si elles sont exposées aux autorités compétentes et validées par elles après une large consultation.
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