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Bénédictions des soldats en 14-18

Bénédictions des soldats en 14-18

 

            Un ami me pose la question suivante : « Pendant les guerres entre la France et l’Allemagne en 1914­1918 et en 1939-1945, il y avait des aumôniers militaires catholiques des deux côtés. Tous soutenaient leurs armées respectives en les encourageant à combattre. Le devoir des Français était de tuer des Allemands, et celui des Allemands de tuer des Français. On s’entretuait avec la bénédiction des aumôniers militaires catholiques des deux côtés, au nom du Dieu qui est Amour. Comment justifier une telle contradiction spirituelle ? »

            Il s’agira, pour répondre, non pas tant de ‘justifier’ que d’expliquer, en tenant compte des situations particulières à chacune des deux guerres mondiales.

 

            Tout d’abord, soulignons que bénir un soldat, ou une troupe, ce n’est pas bénir les fauteurs de guerre. On ne le remarque pas assez : ce sont les politiciens, et non les militaires, qui décident de commencer les hostilités. Il y a des cas ou des militaires sont au pouvoir, mais leurs fonctions militaires ne leur permettent pas de déclencher une guerre ; s’ils le font, c’est au titre de leur pouvoir politique. Le soldat n’est en tout cas pas consulté, ce sont les lois qui s’imposent à lui qui le poussent à rejoindre l’armée. Dans ces conditions, il est normal qu’on le bénisse, pour qu’il soit gardé de tous les maux auxquels il va être exposé : physiques ou spirituels, psychologiques et moraux.

            On comprend ainsi que l’Église veuille que des prêtres soient affectés dans les armées dès le temps de paix, non seulement pour le service habituel des militaires, et pour les aspects spécifiques du ministère auprès d’eux, mais aussi pour ne pas dégarnir les autres communautés en cas de guerre. Habitués aux conditions de la vie des militaires, les aumôniers peuvent les suivre dans les opérations.

 

            En 1914 toutefois, il y avait une circonstance particulière : les catholiques étaient persécutés par les deux États belligérants. En Allemagne, le roi de Prusse était protestant ; Le chancelier Bismarck avait lancé le Kulturkampf (combat culturel) : on prétendait que pour être un vrai sujet allemand, il fallait être protestant, et les catholiques étaient des sujets de seconde zone. En France, les anticléricaux au pouvoir depuis la fin du XIXème siècle avaient proclamé la séparation de l’Église et de l’État en rompant le concordat signé par Napoléon et en cessant de payer les intérêts du capital volé à l’Église au début de la Révolution. Les religieux furent expulsés, et les autorités françaises eurent l’impudence d’envoyer leurs ordres de mobilisation aux hommes qu’elles avaient obligés à s’exiler !

            Dans ces conditions, les catholiques voulurent montrer qu’ils n’étaient pas moins patriotes que leurs concitoyens, et on eut ce paradoxe que les catholiques se trouvèrent enrôlés au service de gouvernements qui les persécutaient. Bien sûr, les politiciens des deux côtés voulurent faire « l’union sacrée ».

 

            Parlons donc un peu du patriotisme. C’est une bonne disposition : honorer son père et sa mère conduit à défendre et promouvoir le patrimoine qu’ils nous ont transmis. Mais il y a un excès possible : c’est quand, au lieu de mettre ce patrimoine au service de toute l’humanité, on prétend en faire un absolu et l’imposer à tous. Comprenons donc la différence entre le bien et les valeurs. Le bien est en rapport avec la nature humaine, il a quelque chose d’absolu ; mais une valeur est ce qui est considéré comme bien, soit par une personne soit par une communauté. Ainsi parler est un bien, mais parler tel langage plutôt que tel autre est une valeur. Le patriotisme exacerbé ne doit pas conduire à imposer ses valeurs à ceux qui ne les partagent pas. On n’a pas de raison de rejeter le patriotisme ou le nationalisme sous prétexte qu’ils ont pu avoir des formes exacerbées.

            Le devoir de tuer les ennemis n’est que secondaire : c’est le devoir de défendre sa partie qui prime. Et chacun a sa conscience, qui le pousse à faire ce que Saint Jean Baptiste disait aux soldats : « Contentez-vous de votre solde » - c’est-à-dire : « Il n’y a pas de mal à être soldat, mais n’utilisez pas votre force pour maltraiter les non-combattants. » Et l’Église éclaire les consciences en définissant les conditions de la guerre juste, et les conditions pour la déclarer justement.

 

            La question, évidement, s’est posée différemment en 1939. Les choses étaient claires pour tous les catholiques même avant l’encyclique Mit Brennender Sorge, où Pie XI condamnait le national-socialisme : les catholiques allemands ont voté massivement contre Hitler quand il montait vers le pouvoir. On en a la preuve : la religion était inscrite lors des recensements en Allemagne et on constate, en comparant la carte des votes et celle des religions, que plus une circonscription était catholique, moins elle votait pour les nazis.

            Cependant l’hostilité au régime nazi n’empêchait pas qu’il était nécessaire d’assurer les sacrements aux soldats. On a les cas symptomatiques de deux aumôniers, l’un belge, l’autre français, qui ont exercé leurs ministères auprès de soldats de leurs pays engagés dans l’armée allemande. Le Belge avait été professeur et certains de ses anciens élèves combattaient aux côtés des Allemands dans la SS. Voyant leur détresse, il voulut les aider de son ministère : il n’y a rien à lui reprocher, puisqu’un aumônier n’est pas un combattant et même on a dû lui donner un statut particulier ; comme il ne pouvait pas y avoir d’aumônier dans la SS, il fut enrôlé au titre d’une autre troupe et détaché à la SS ; mais après la guerre il dut se cacher et termina sa vie comme curé dans l’Ouest de la France. L’autre aumônier, un Français, fut Mgr de Mayol de Lupé. Il avait été aumônier militaire en 1914-1918, puis au service des troupes françaises qui aidaient les Blancs dans l’URSS naissante ; l’aura de sa famille luis permit d’intervenir auprès des autorités d’occupation après 1940, mais en échange de ce qu’elles lui accordaient il dut devenir aumônier auprès de la Légion des Volontaires Français ; là encore il n’y aurait rien à redire, mais il faisait, lors de ses permissions, de la propagande pour que des jeunes Français s’engagent à leur tour ; il fit de la prison après la fin de la guerre.

            On peut aussi noter que le Pape Pie XII à Rome a béni les troupes alliées qui défilaient place Saint Pierre : mon père y était, avec ses goumiers qui avaient exploité la percée du Garigliano. Le Pape n’a pas fait ce geste pour les troupes allemandes. Mon père, en tout cas, fut frappé par la silhouette de Pie XII, et ce fut peut-être un des éléments qui l’ont conduit à se faire baptiser quelques années plus tard.

 

            On voit donc que la contradiction n’est qu’apparente. L’Église est auprès de ses fidèles qui souffrent de la guerre, cela ne signifie pas qu’elle encourage à déclencher des guerres ; simplement, une fois la guerre déclarée, elle tâche de limiter les conséquences néfastes. À un autre niveau, la diplomatie vaticane intervient aussi : pour éviter la guerre, comme cela a été le cas entre l’Argentine et le Chili vers 1980, ou en proposant des solutions aux conflits, comme Benoît XV l’a fait en 1917.

 



05/07/2024
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