A propos du Rwanda
Ce texte a été rédigé en avril-mai 1994, pour les fidèles de l’aumônerie militaire française de Dakar.
Souvenirs et impressions des années 1980.
Partant pour Bukavu dans l'Est du Zaïre, je suis arrivé à Kigali le 30 août 1983. La correspondance aérienne n'étant pas assurée ce jour là et la route n'étant pas encore construite à cette époque, j'ai dû passer 24 heures dans la capitale rwandaise.
La première impression fut celle d'une société dure, mais où l'on trouve toujours quelqu'un pour vous dépanner. Après quelques difficultés, je trouvai une procure où je pris le repas de midi. J'y fus assailli par des jeunes de la Jeunesse Ouvrière Catholique qui m'insultaient sans égard pour mon vêtement sacerdotal : je ne voulais pas acheter les "souvenirs" qu'ils me proposaient. Je devais passer trois ans (en fait il y en eut six) sans ressources autres que des honoraires de messe, et je n'avais rien à dépenser. On ne pouvait pas me loger à cet endroit. Des Soeurs venues de la brousse faire des courses parvinrent à me caser avec mes lourds bagages dans leur "coccinelle" déjà surchargée.
Elles me déposèrent chez les Pères Blancs où l'accueil fut excellent. On me dit de tout fermer à clef: un Père s'était fait voler sa couverture neuve à travers les barreaux d'une fenêtre qui donnait pourtant sur le jardin. Quelques années plus tard, cette communauté fut attaquée de nuit par une bande organisée. Les chambres donnaient toutes sur une galerie extérieure, vers le jardin. Un brigand s'était placé devant chaque porte de chambre occupée. Celui qui sortirait au bruit risquait de recevoir un bloc de pierre sur la tête. Si mes souvenirs sont exacts, un Père eu l'épaule démise. Le bureau de l'économe fut pillé.
La deuxième impression que j'eus de ce pays est celle d'un gouvernement faisant ce qu'il faut pour améliorer le niveau de vie de sa population. En volant finalement sur un "petit porteur" d'Air Rwanda vers l'aéroport de Kamembe, près de Cyangugu, ville frontière face à Bukavu, je constatai que 95% ou plus des toits de cet habitat dispersé sur mille collines étaient en tôle. Survolant par la suite le Zaïre à l'Ouest du lac Kivu, je vis que les toits étaient en chaume à quelque 80%.
Je peux montrer une photo sur laquelle on voit la vallée encaissée de la Russizi au Sud de Bukavu: cette rivière est le déversoir du Kivu dans le Tanganika, elle descend de près de 700 mètres en 100 km le long desquels elle sépare le Zaïre d'abord du Rwanda puis du Burundi. Côté rwandais, l'à-pic est cultivé en terrasses séparées par de petites haies anti-érosives. Côté zaïrois, la bonne terre est arrachée par les pluies. La vallée en devient dissymétrique.
De plus au moment où la plupart des pays africains développaient des armées aux effectifs énormes, le Rwanda avait fait le choix délibéré de ne pas sacrifier ses maigres ressources à cet instrument de prestige et de domination. Leurs forces armées étaient de quelques milliers d'hommes pour un pays aussi peuplé que le Sénégal. Encore était-ce surtout de la gendarmerie.
Je pourrais ajouter quelques exemples. Aussi ai-je été consterné quand j'ai entendu dire que les dirigeants de ce pays étaient corrompus. Il s'agissait uniquement, je pense, de justifier notre non-intervention dans un pays agressé où nous avions une mission de coopération militaire. Nous étions engagés alors face au Koweït, c'est vrai. Mais le pays était envahi à partir de l'Ouganda par des éléments qui prétendaient s'y être réfugiés trente ans auparavant. Quand de prétendus "gendarmes katangais" avaient envahi le Zaïre à partir de l'Angola, la France était intervenue à Kolwézi.
Mais quand finalement nos forces sont allées à Kigali, elles y ont gelé la situation sur le terrain, empêchant la reconquête par le gouvernement légitime. Ce qui s'est passé ensuite en Croatie et en Bosnie agressées par les Serbes avait donc eu un précédent. Le résultat est que la situation a pourri, jusqu'à ce que nous constatons aujourd'hui.
Pourquoi donc ces massacres de prêtres dans un pays très majoritairement catholique? Il y a plusieurs hypothèses. Sans doute des membres d'une ethnie tuent le clergé de l'autre, surtout s'il s'oppose à la tuerie. Peut-être des missionnaires sont-ils abattus pour avoir caché des gens persécutés. Mais il y a probablement aussi autre chose. Ce pays comporte également une minorité influente d’athées militants, violemment opposés à toute manifestation de la religion. Entre autres on constatait des jets de pierres sur les églises.
Ainsi au début des années '80, les catholiques avaient tendance à éviter de se dire publiquement pratiquants. Puis il y eut les apparitions de Kibeho. Dans cette petite ville du Sud-Ouest du pays, la Vierge Marie a poussé des adolescents à parler devant la foule puis les micros et les caméras de ce qu'ils vivaient pendant leurs visions. Bien que le jugement de l'Eglise sur ces faits ne soit pas encore définitif, l'évêque du lieu est assez favorable, selon le proverbe de l'évangile: "On reconnaît l'arbre à ses fruits".
En effet les catholiques rwandais n'ont plus hésité à dire publiquement leur foi et l'atmosphère du pays était redevenue bien meilleure. On espère que cela contribuera à ramener la paix et la liberté dans ce pays magnifique.
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